Louise Simard : Trace de monde
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Louise Simard : Trace de monde

Si les Québécois célèbrent leur passé en achetant de plus en plus de romans historiques, LOUISE SIMARD y est certainement pour quelque chose. Après le succès de La Route de Paramatta, voici Thana, la fille-rivière, une saga en bonne et due forme.

Louise Simard

a connu un très grand succès avec son précédent roman, La Route de Paramatta. Alors que l’on s’extasie aujourd’hui à l’idée que les Québécois ont des racines en Australie, Simard avait déjà parcouru le chemin vers ce bagne où ont été expédiés des Patriotes de Nouvelle-France, il y a cent cinquante ans.

Un flash lui a fait aimer cette histoire et elle voulu en découvrir davantage. C’est aussi ce qui est arrivé pour ce nouveau titre, Thana, la fille-rivière, qui vient d’arriver en librairie. "Je parcourais le Dictionnaire biographique du Canada (mon livre de chevet), et je suis tombée sur un nom, Kiala (le nom d’un guerrier), de qui l’on disait qu’il était mesquakie. C’est resté comme ça. Au même moment, je faisais des recherches sur l’esclavage, et je me suis aperçue que des Mesquakies avaient été esclaves en Nouvelle-France. J’ai fait le lien, et je me suis passionnée pour eux, leur histoire, leur vie."

Simard éprouve une fascination pour les Amérindiens depuis son enfance. Et là, elle a enfin touché à ce sujet envoûtant. "Je n’en revenais pas de voir à quel point on ne trouvait pas grand-chose sur eux. Cette tribu a disparu, s’est fondue avec une autre, les Sakis, et on en trouve des traces dans le Nord des États-Unis. Mais dans les textes, il ne reste plus rien sur eux."

Suivre la piste
C’est au cours de ses recherches que l’auteure est tombée sur un livre écrit par deux profs de l’Oklahoma, Edmunds et Peyser, The Fox Wars. The Mesquakie Challenge to New France. Un véritable trésor, qui lui a permis de documenter son histoire. " Pour Paramatta, j’avais beaucoup d’archives et de documents, c’était une époque très connue de notre passé. Mais pour les Mesquakies, au milieu du dix-huitième siècle… Heureusement que j’ai eu ce livre, qui m’a permis de connaître leur mode de vie, tous les détails de leur vie quotidienne et de leur histoire."

L’héroïne de ce roman est une jeune Mesquakie, Thana, qui est vendue comme esclave à des Français, avant que ceux-ci ne cèdent aux Anglais leurs territoires américains. Avec ces colons guerriers, Thana traversera, ou presque, le continent nord-américain. Pour mieux parler de ce parcours, Louise Simard l’a refait… Huit mille kilomètres pour connaître les lieux, les sites, desquels il ne reste d’ailleurs absolument rien. "On parle souvent des conquérants dans les livres d’histoire, dit Simard, mais jamais des vaincus. Pourtant, ce sont des trésors de résistance, ces gens ont été tenaces, sont allés jusqu’au bout de leurs forces pour garder leur territoire et leur liberté. Moi, je préfère souvent m’intéresser à l’histoire de ceux qui subissent, plutôt qu’à celle de ceux qui remportent la victoire. Leur vie est tout aussi intéressante, sinon plus. Mais elle laisse peu de traces."

L’invention de la vie
De son propre aveu, Louise Simard est accro à l’histoire. Et si elle signe encore un roman de genre, la romancière essaie de se libérer de la sécurité que représente le savoir. "J’ai toujours été tiraillée entre les deux: le roman et l’histoire. Faire un roman historique, c’est la bonne façon de s’en sortir. Mais, de plus en plus, je cherche des sujets moins détaillés, où je dois remplir moi-même les vides, en créant."

C’est l’une des raisons pour lesquelles Simard a choisi de raconter cette histoire à travers les yeux d’un personnage féminin, Thana, dont elle n’avait pas de véritable trace. "En choisissant un personnage vraiment fictif, je devais m’écouter davantage comme créatrice. Et je dois dire aussi que cela me permettait de raconter l’histoire de l’intérieur: à travers les yeux de cette femme qui n’a pas réellement existé comme telle, mais qui est aussi toutes ces femmes qu’on ne connaît pas et qui ont été si courageuses."

Simard dit avoir eu sa période "pionnière", pendant laquelle elle faisait découvrir des personnages de notre histoire: Louise de Ramezay, la première femme d’affaires (La Très Noble Demoiselle, 1992), Laure Conan, la première auteure (Laure Conan, la romancière aux rubans, 1995) et Gaétane de Montreuil, la première journaliste (Le Médaillon dérobé, 1996). Il faut dire que ce fil, tendu entre toutes ces femmes, Simard le tient depuis qu’elle sait que Laure Conan est son arrière-arrière-petite-cousine; qu’elle aussi, à son époque, a accompli ce travail de défricheuse, et publié des romans historiques. Mais Simard a également eu d’autres modèles, entre autres Anne Hébert, dont elle admire le roman Kamouraska.

Après avoir plongé dans l’histoire des Patriotes avec Paramatta, roman qui regorge de héros masculins inspirants, elle s’est lancée dans cette aventure qui lui apprend, dit-elle, tant de choses. "C’est surtout pour cela que j’aime écrire des romans historiques: j’adore apprendre et découvrir, je ne me lasse pas, je suis presque boulimique! Ce genre réconcilie deux parties de moi-même: la curiosité et l’envie de raconter." Mais elle qui a lu cent soixante-quinze romans historiques pour faire son doctorat sait aussi qu’il y a un public au Québec pour ce genre de romans. "Cela me fascine! Nous avons vendu cinq mille copies de Paramatta et le livre va en réédition. Même si je le souhaitais depuis longtemps, je ne pensais jamais que cela marcherait autant." Ce qui l’encourage en tout cas à continuer, et à travailler à la suite de Thana, dont l’histoire ne s’achève pas avec la fin de ce premier tome, loin de là…


Thana, la fille-rivière
Alors qu’elle s’ébroue tranquillement dans l’eau pure de la rivière, Thana, fille de Wapello, chef des Mesquakies, est enlevée et vendue comme esclave à des Français. On est en 1729, et la France tente par tous les moyens d’agrandir ses territoires vers l’ouest, mais la tribu de Thana résiste toujours. "Plus rien ne se passe dans la région des grands lacs sans qu’ils en soient les instigateurs. Ils sont partout, de tous les traités et de tous les conflits, toujours plus exigeants." Thana servira en quelque sorte de monnaie d’échange, de garantie, ou encore de guide, lors des différentes alliances qu’ils essaieront de créer pour se protéger des Anglais et assurer leurs positions face aux différentes tribus amérindiennes. Après les premières pages dont certaines scènes de tortures et de viol suscitent révolte et colère, le roman suit le destin de la jeune Mesquakie qui n’aura d’autre but que de revoir son village. Mais les siens sont-ils encore en vie? Thana fera la connaissance de Josiah, l’amant mulâtre de Marie-Anne, épouse d’un militaire français; de Philippe, jeune officier qui a connu l’amour auprès d’un Mesquakie; et de plusieurs autres personnages, qui deviendront des alliés et qui lui apprendront qu’aucune race n’a le monopole de la vertu. Simard décrit avec précision la nature belle et impitoyable dans laquelle se déroule l’histoire, dont la reconstitution historique est tout à fait convaincante. Un roman grand public, qui concilie habilement le savoir et le divertissement.

Éd. Libre expression, 2000, 431 p.