Poésie d'ici : Lettres d'un jeune poète
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Poésie d’ici : Lettres d’un jeune poète

En ce qui a trait au nombre de recueils publiés comme à leur qualité, la poésie d’ici se porte bien. Retour sur quelques parutions récentes, avant d’aller cueillir les fruits de  l’automne.

La poésie est comme ses artisans: multiple, secrète, sans frontières. Chaque recueil a quelque chose d’une petite porte unique, ouvrant tantôt sur l’infiniment grand, tantôt sur l’infiniment petit, quelquefois sur de grandes choses. Encore faut-il pousser cette porte.

Au cours des prochaines semaines, je présenterai certains recueils frais parus, comme une invitation à la lecture. Parmi des voix aux harmonies confirmées, célébrées, nous écouterons souvent des voix nouvelles, histoire d’entendre le monde chanté autrement.

Il y a quelques jours, j’ouvrais les pages de L’Inachevée, troisième livre de Luc C. Courchesne, un jeune auteur montréalais (Livie, Les Plages oratoires). J’ai aimé ces poèmes en vers et en prose qui disent les lendemains de la passion, l’aube têtue des jours qui tournent en rond, mais aussi la beauté sans cesse réinventée de l’étreinte amoureuse.

La première partie du livre est faite de vers brefs, denses, comme autant de fragments d’amours. De toute évidence très inspiré par la musique des mots, l’auteur exploite beaucoup les homonymes et les mots phonétiquement proches: "deux mots fument / échangés / un matin d’hiver / les pleurs / dans le matin / rosé / les peurs / dans le jardin / gelé / deux mots / échangés / nous fûmes / un matin d’hiver".

Plus loin, le poète adopte un autre ton. Dans un discours proche du quotidien, il raconte une relation brisée puis ressuscitée, avant de surprendre le lecteur avec une prose tantôt contemplative, tantôt érotique.

Devant tant de formes explorées, on pourra douter de la cohésion du recueil. Mais l’unité est ailleurs, dans cette quête multiforme d’un lieu où le beau est inaltérable, où l’amour sait renaître de ses cendres. Un lieu d’allégresse, où le poète existe intensément, vit et se survit.

Un beau recueil.
J’ai retrouvé ce thème de la survivance, bien que dans un style plus sobre et une imagerie autre, dans les Murmures d’avant-pluie, d’Élaine Bégin. Ces vers déroulés avec beaucoup de délicatesse et de précision, sans jamais rien d’ampoulé, dévoilent une femme qui apprend à porter ses douleurs comme ses enchantements. Sans apitoiement, elle dira les départs, l’absence, avec justesse. Les oeuvres de Geneviève Decelles, qui accompagnent la lecture, imagent le propos de façon pertinente.

Si certaines pages ont quelque chose de convenu, voire de déjà lu, le lecteur sera fréquemment ébloui par les éclairs qui traversent, çà et là, le recueil, ces passages qui renouvellent des chemins pourtant cent fois empruntés: "je suis trop seule pour être à toi / je n’arrive pas à nous ressembler / malgré tous les visages à connaître / et ceux que l’on égraine au piano".

Je signale en terminant que les Éditions Triptyque ont eu la bonne idée de rééditer Inlandsis, de Marie-Claire Corbeil. Paru en 1987 aux Éditions Guernica, Inlandsis avait ravi critiques et lecteurs, qui reconnaissaient là un univers poétique très personnel. On redécouvre avec une joie mêlée d’angoisse cette poésie faite de déserts, de vides et de morts, qui dit la ville ou la mer avec un je-ne-sais-quoi d’incantatoire, d’ensorcelant.

L’Inachevée, de Luc C. Courchesne
Éd. Teichtner
2000, 106 p.

Murmures d’avant-pluie, d’Élaine Bégin
Éd. Le Loup de Gouttière
2000, 68 p.

Inlandsis, de Marie-Claire Corbeil
Éd. Triptyque
1987/2000, 118 p.