Raymond Plante : Novembre, la nuit
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Raymond Plante : Novembre, la nuit

Dans Novembre, la nuit, Marianne Richer, 42 ans, directrice d’un petit théâtre de marionnettes, dit adieu aux gens qui ont marqué sa vie. Ses lettres constituent le sujet du dernier roman de Raymond Plante.

Novembre, la nuit
de Raymond Plante
Que feriez-vous si vous saviez que vous n’en avez plus que pour quelque temps à vivre? Du bungee? De l’héroïne? Une ultime dépression nerveuse? Marianne Richer, 42 ans, directrice d’un petit théâtre de marionnettes, fera plus sagement ce que l’on imagine être la chose sensée à faire, dans les circonstances: dire aux gens qui ont compté dans sa vie combien ils ont compté dans sa vie. Elle le fera par l’entremise de lettres, qu’elle écrit tout au long du mois de novembre d’une année indéterminée.
Raymond Plante, qui donne vie à Marianne Richer dans son tout nouveau roman, Novembre, la nuit (on a du mal à ne pas y lire le dernier titre des Colocs: Dehors novembre), aime cette femme, cela est évident. Il l’a fabriquée aussi délicieuse et solide qu’on aimerait toujours l’être, de façon que son imminente disparition semble évidemment d’une injustice supplémentaire.
Adressant la toute première lettre, accompagnée d’un chèque, à un vérificateur du ministère du Revenu, et en profitant du coup pour lui signaler effrontément qu’il s’agit de son dernier versement, Marianne Richer s’annonce déjà comme un personnage de femme passionnée, fonceuse, libre. Du moins le dit-elle ici, comme elle le dira d’une lettre à l’autre, avec un soupçon de prétention qui ne s’altérera pas: "Vous avez vérifié mes revenus, mes dépenses, tout. Vous avez admiré mes acrobaties lorsque j’ai chevauché d’une carte de crédit à l’autre. Au risque de vous irriter, je vous répondrai que oui, j’ai bien vécu. Du moins, j’ai fait ce que j’ai pu. Pleinement, jouissivement, avec tous les petits bonheurs que la légèreté entraîne, mes désirs passionnés et les risques qu’ils comportent. C’est ma nature. Ma manière de calfeutrer ma sensibilité. Le monde me blesse, monsieur Crépault."
Jusqu’à sa mort, donc, à laquelle elle s’abandonne avec une dignité quasi décourageante ("Pas la peur de souffrir qui me tracasse. Depuis que je connais le verdict, j’éprouve les plus grandes souffrances. Plutôt la crainte de causer des soucis aux autres."), Marianne Richer écrira une vingtaine de lettres. On les traverse facilement (trop facilement?), sans que n’arrivent les éclats auxquels on pourrait s’attendre. Oh, quelques larmes, bien sûr, quelques secondes angoissées alors que la meilleure amie, le mari ou la fille passent et repassent devant la chambre pour s’assurer que Marianne est toujours en vie. Mais on ne peut faire autrement que de se demander où sont enterrés les regrets, les échecs, les pardons, les peurs, les questions, les instants de honte. Comment ne pas en parler? Marianne Richer n’a-t-elle toujours été que la victime d’injustices, comme elle en accuse son frère, et par la bande, feu sa mère, dans une lettre à celui-là? N’a-t-elle toujours été que celle qui, contrairement à la plupart des gens, semble toujours savoir quand partir, quand parler, quand se taire, comme elle semble se plaire à l’étaler dans les lettres à son ancienne associée (la grosse) ou à ce journaliste-vedette (l’alcoolo impuissant) qui lui vouait un respect étonnant? Accorder la parole à un personnage de femme qui se meurt est certes un double challenge romanesque quand l’écrivain est un homme et qu’il est bien vivant. On aurait aimé que Raymond Plante donne une substance plus profonde et plus complexe à son aimable créature.

Éd. La courte échelle, 2000, 139 p.