Tourmente : Aline Apostolska
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Tourmente : Aline Apostolska

Dans Lettres à mes fils qui ne verront jamais la Yougoslavie, son récit autobiographique qui avait ravi la critique l’hiver dernier, Aline Apostolska s’était tournée vers le pays de ses racines. L’écrivaine et journaliste, établie au Québec depuis 1998, ancre plutôt son premier roman dans sa nouvelle terre d’élection, refuge d’une héroïne plongée en pleine Tourmente.

Tourmente
d’Aline Apostolska
Dans Lettres à mes fils qui ne verront jamais la Yougoslavie, son récit autobiographique qui avait ravi la critique l’hiver dernier, Aline Apostolska s’était tournée vers le pays de ses racines. L’écrivaine et journaliste, établie au Québec depuis 1998, ancre plutôt son premier roman dans sa nouvelle terre d’élection, refuge d’une héroïne plongée en pleine Tourmente.
Enfiévré, sensible mais inégal, ce court roman trace le portrait déchiré d’une Française "en exil d’elle-même", qui remet en question le trajet qu’a pris sa vie, son mariage sans histoire, son rôle de mère, sa vocation d’artiste. Le destin prend prétexte du séjour d’Iara à Montréal, à l’occasion d’une exposition de ses peintures, pour remettre sur sa route l’homme qui fut son premier amour, son "homme mythique" avec qui elle a vécu, adolescente, une passion destructrice aux fruits amers.
Happée à nouveau par un puissant sentiment fait autant de désir charnel que de rancune, au mépris de toute rationalité, Iara court rejoindre ce grand violoniste, avec qui elle partage non seulement une origine et une langue communes, mais aussi un secret douloureux, au cap Tourmente où il se terre en attendant de rendre son dernier souffle, craché par des poumons malades. Elle va chercher un sens à leur histoire, et un apaisement aux fantômes qui la minent depuis vingt ans. Mais plus fondamentalement, Iara tente de se reconnecter sur une part plus primitive, et plus libre, d’elle-même.
En gros, Tourmente sonde le "féminin" dans ses contradictions et ses pièges, à travers un personnage de femme emprisonnée dans des images successives – la fille, l’amante, l’épouse, la mère -, prise entre la quête d’impossible et les exigences du quotidien. Le roman ne manque pas de temps forts (comme ce quasi-avortement dans des conditions à faire frémir), mais ne réussit pas toujours la fusion entre le récit comme tel et la réflexion plus en profondeur.
Dégageant une indéniable force d’évocation, mais inégalement maîtrisée, l’oeuvre se laisse parfois emporter par son souffle paroxystique, n’évitant pas d’occasionnels clichés gorgés de romantisme ("la terre tremblait sous l’ardeur de leur union"). Pareillement, l’écriture, généralement belle, dense, soutenue, laisse échapper quelques images douteuses ou phrases trop lourdes ("Sur ses épaules affaissées, Jeff reposait de tout le poids de la consternation dans laquelle elle se sentait prise en étau, prisonnière de ses doutes.").
La plume lyrique d’Aline Apostolska sait pourtant faire corps avec les paysages, ici partie importante du récit. La nature sauvage du cap Tourmente sert de métaphore aux tempêtes intérieures qui assaillent la protagoniste. "Le fleuve éveillait en elle quelque chose d’archaïque et de primaire, une part d’enfance qui refuserait de mourir et qui trouverait, à cet endroit précisément, une nouvelle chance de salut."
Manifestement amoureuse de sa terre d’adoption, et de ses habitants, l’auteure ne nous épargne pourtant pas un certain "folklorisme": la pittoresque Rolande, chaleureuse mère nourricière qui a mis au monde 15 enfants, les oies, les baleines, la "soirée québécoise", la sagesse, teintée de mythologie, de la demi-Amérindienne: l’itinéraire typique du Français en sol québécois, quoi…
Et impossible de ne pas noter que ses personnages masculins ne sont que silence, ou presque, et que ce sont les femmes, fortes et sensées, qui prennent le crachoir pour expliquer les réalités de l’amour et du désir. C’est à elles, à leur caractère forgé par les épreuves, que ce premier roman, imparfait mais parfois inspiré, rend hommage.

Éd. Leméac, 2000, 168 p.