Hélène Dorion : Mer intérieure
Livres

Hélène Dorion : Mer intérieure

Saison faste pour HÉLÈNE DORION qui lance deux livres coup sur coup. L’un est l’écho poétique d’un récent voyage en Europe; l’autre, l’écho renouvelé du grand voyage humain. L’auteure répond à nos questions.

"L’eau serait-elle cette mémoire / du port où s’accordent nos rivages?" Pour Hélène Dorion, le voyage est occasion de rencontre, avec l’autre et avec soi, où toujours les mots sont là, comme des chemins. Portraits de mers prolonge les chemins sur lesquels elle est engagée depuis plusieurs années déjà, une démarche qui, patiemment, minutieusement, tisse un lien entre les origines de soi et l’aube à venir.

Ici, le voyage a cours sur des voies d’eau, celles qui coulent en chacun de nous, bien sûr, comme des reflets du paysage extérieur. Parce que chez Hélène Dorion, peu de chose – à peine quelques mots – sépare la nature extérieure de la nature humaine. La poétesse poursuit son observation des correspondances entre les corps, avec la précision et la sobriété qu’on lui connaît.

Portraits de mers n’a rien d’un morceau isolé. "Un recueil s’écrit à partir des précédents, à partir de certaines brèches qui ont été ouvertes, confie l’auteure. Ce livre est le prolongement de Pierres invisibles, et plus particulièrement des Murs de la grotte. Avec ce dernier, je remontais aux origines du monde, pour entendre la résonance de ces origines dans l’histoire individuelle. Avec Portraits de mers, le voyage conduit plus précisément aux origines de soi."

Les quatre éléments fondateurs, l’eau, la terre, l’air et le feu, sont très présents, comme toujours dans la poésie d’Hélène Dorion, mais l’eau a plus d’importance que jamais. Elle est partout, et c’est dans le paysage dénudé de l’océan, où le moindre îlot devient relief, terre promise ou terre d’exil, terre d’accueil ou de naufrage, que l’on chemine. L’eau est partout, donc, mais à peine plus que son antithèse, le feu, un feu qui sait brûler sans anéantir, brûler pour engendrer autre chose. "Tel appel nous engendre / de ses flammes, nous brûle / sans nous consumer."

Qui n’a jamais lu Hélène Dorion est frappé par la proximité entre les poèmes, la cohérence de la démarche. Les mots forment une voie où progresser, une route qui pourtant reste à définir. "C’est comme si l’écriture était un chemin qui s’éclairait à mesure des pas qu’on y fait", dit Hélène Dorion.

Cette poésie a quelque chose de rigoureux, d’obstiné, comme un passage obligé. "Ainsi vas-tu, des années durant / sans relâche chercher cette grotte / au coeur de l’être, l’union de ton souffle / à celui du monde."

Des ronds dans l’eau
Dans cet esprit de cohésion thématique très forte, quel est l’apport de chaque poème à la démarche, alors qu’on a parfois l’impression de repasser par des chemins déjà fréquentés? "Pour moi, c’est un peu comme un sillon dans une spirale, qui creuse davantage la thématique, explique la poétesse. Même chose pour un livre par rapport à un autre. J’essaie de faire de chaque poème un pas, une avancée, d’aller chaque fois plus en profondeur."
On pense à son ami, le poète belge Werner Lambersy, dont le mouvement circulaire organise toute l’oeuvre (lire D’un bol comme image du monde, Le Loup de Gouttière, 1999). Comme chez Lambersy, au bout de chaque parcours apparaît une ouverture nouvelle. "Avec Portraits de mers, par exemple, une thématique de la transformation s’est ouverte, dit Dorion. Transformation du monde, que l’on perçoit en observant les éléments, puis transformation intérieure. La contemplation des éléments est un enseignement, comme si la transformation de la matière nous apprenait à nous transformer nous-mêmes."
C’est par la transformation que l’on peut renaître de ses "fatigues", ses "épuisements", ses plus intimes doutes. Les vers d’Hélène Dorion, à cent lieues des voix qui se repaissent de la noirceur et des ténèbres, tendent toujours vers le nouveau, font du doute l’une des sources du mouvement. "Il est important pour moi que certaines fondations soient des questions. L’incertitude participe de la tension créatrice", déclare-t-elle.

L’aube est toujours là, au bout des nuits, pour peu qu’on la désire, qu’on la célèbre, qu’on ne la considère jamais comme acquise.

Les chemins de traverse
Le voyage continue, bien que sous une autre forme, dans Fenêtres du temps, un recueil jumelé à celui de Marie-Claire Bancquart (la collection Vis-à-vis des éditions Trait d’union réunit les textes de deux auteurs selon une thématique commune, ici le rapport espace-temps). Si Portraits de mers propose un voyage vers soi, Fenêtres du temps jalonne un parcours vers nous, sur la piste de l’histoire.

Cet ensemble de textes est issu d’un carnet de route rédigé lors d’un récent voyage en Allemagne et en Autriche, en compagnie d’écrivains québécois, dont Monique Proulx et Pierre Morency, et de gens de l’édition québécoise et allemande. Des textes qu’Hélène Dorion a écrits sous l’inspiration du moment, elle qui d’ordinaire mûrit ses mots pendant deux ou trois ans avant de les acheminer chez l’éditeur.

Démarche d’écriture inhabituelle qui donne un livre inhabituel, même si des parallèles sont possibles, entre autres avec son recueil Les Corridors du temps (1988). Ici encore, le présent se tait parfois pour que résonne le passé. "Lentes contrées que gagne le regard / soudain les fenêtres ne pèsent plus / les paysages les portent comme des vies plurielles / en leur parfaite destinée."

Puis il y a la suite des poèmes intitulés "Berlin", qui rythment le cycle. "Et tu retrouves tes pas / le long des corridors / du temps, ni l’est ni l’ouest / ne délimitent ces années / par-dessus l’absolu, le vent / que tu négliges, l’averse / percute l’os / du coeur épuisé." ("Berlin V")

Dans Pierres invisibles, son recueil précédent, Hélène Dorion faisait le projet de retourner chaque pierre pour y lire son secret. À Berlin, ce sont les pierres de l’histoire qu’elle a retournées, décryptant les souffrances comme les espoirs, montrant une fois de plus que les histoires individuelle et collective sont les fils entremêlés d’une même trame.

Portraits de mers, d’Hélène Dorion
Éd. de la Différence, 2000, 128 p.

Voilé-dévoilé / Fenêtres du temps, de Marie-Claire Bancquart et Hélène Dorion
Éd. Trait d’union, 2000, 110 p.