Hella S. Haasse : Des nouvelles de la maison bleue
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Hella S. Haasse : Des nouvelles de la maison bleue

Bien qu’il ne soit pas rare qu’un roman s’expose comme une oeuvre de mémoire, cela est particulièrement évident dans les titres de la baronne des lettres indo-néerlandaises, aujourd’hui dans sa quatre-vingtième et quelque année, Hella S. Haasse.

Bien qu’il ne soit pas rare qu’un roman s’expose comme une oeuvre de mémoire, cela est particulièrement évident dans les titres de la baronne des lettres indo-néerlandaises, aujourd’hui dans sa quatre-vingtième et quelque année, Hella S. Haasse. Bon nombre des romans de cette auteure (qui est née en Indonésie mais qui habite la Hollande depuis soixante ans) sont marqués du sceau du retour en arrière: retour au bercail, retrouvailles avec les siens, avec l’être que l’on a été, et, plus passionnément encore, retour à la maison qui nous a vu être.

Telle est donc à nouveau la toile de fond de ce dernier titre en français, Des nouvelles de la maison bleue, dans lequel deux soeurs, que la vie a totalement séparées, reviennent dans cette maison qui les a vues grandir et où elles n’ont plus mis les pieds depuis un demi-siècle. Le génie de Hella S. Haasse n’est pas, ici, d’avoir donné aux deux héroïnes de son roman des personnalités radicalement différentes: l’une tenant davantage de sa mère, fougueuse Argentine, l’autre de son père, sobre Hollandais. Ni d’avoir dressé en un face-à-face (qui ne dégénérera d’ailleurs jamais en affrontement) la misère, la passion et le désir de justice qui ont été le lot de l’une des soeurs pendant que l’autre s’engonçait mollement dans le luxe et la passivité.

Ou, du moins, il n’est pas que là.
Car le génie de Hella S. Haasse, ici comme dans d’autres romans, se manifeste encore plus brillamment dans la façon singulière qu’elle a de construire son texte. On trouve ainsi, en marge de l’histoire centrale narrée dans Nouvelles de la maison bleue toute une série de portraits venant nourrir ces thèmes que mettent en lumière les retrouvailles des deux soeurs: les souvenirs, les regrets, les révélations, les secrets, les espoirs.

Hella S. Haasse dépeint les gens qui gravitent autour des soeurs et de leur maison bleue, qui ont été enfants avec elles, et qui sont demeurés dans leur petit village, pendant qu’elles couraient, chacune à leur cause, de par le monde. Et c’est dans de petits riens que l’on apprendra d’abord à découvrir ces divers personnages secondaires: à leur façon de se comporter, d’accueillir le voisin ou de le fuir, de nettoyer le jardin, de semer le désordre, de boire le thé ou de laper le xérès.

Puis on verra bientôt gronder chez eux, et chez les femmes en particulier, un insatiable désir de rattraper le temps perdu, de faire table rase du passé et de foncer vers un nouveau destin. La maison bleue sera démolie. On ignorera ce qui arrive à chaque personnage, l’auteure s’amusant à jouer autant avec la chronologie qu’avec le point de vue narratif, donnant la parole tantôt à un narrateur omniscient qui ne dit pas tout, tantôt à un narrateur qui ne sait pas grand-chose mais qui parle beaucoup. On ne saura pas tout, mais on pensera, et on espérera grand. Ce qui n’est pas le pire legs que puisse laisser un roman…

Traduit du néerlandais par Annie Kroon.
Éd. Actes Sud/Leméac, 2000, 185 p.