Conseils à un jeune romancier : Le marchand de prose
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Conseils à un jeune romancier : Le marchand de prose

Nous avons demandé à un jeune écrivain, Mauricio Segura (Côte-des-Nègres, 1998), de lire pour nous Conseils à un jeune romancier que vient tout juste de publier l’auteur MARC FISHER. L’exercice fut concluant, mais n’a pas vraiment inspiré notre cobaye…

Pas vraiment une vedette chez lui, Marc Fisher est pourtant un des auteurs québécois, parmi les plus lus et les plus traduits dans le monde. Il écrit ce que les critiques appellent, en levant le nez, des best-sellers, dont les plus connus sont ceux de la série du Millionnaire. Ces dernières années, il partage son savoir-faire en donnant des séminaires sur la pratique de l’écriture et le métier d’écrivain.

On imagine aisément que Conseils à un jeune romancier soit un condensé des réflexions élaborées dans ces séminaires. Il s’agit de quatorze lettres où, à la manière de Heiner Maria Rilke dans Lettres à un jeune poète, il conseille un aspirant auteur, en l’occurrence son neveu, sur les étapes à suivre pour "vivre de sa plume". Non seulement aborde-t-il les inévitables questions du héros, de l’histoire, de "l’identification du lecteur au héros", de "l’utilité d’un plan", du suspense et du dialogue, mais il parsème aussi ses lettres de suggestions sur ce que devrait être la vie d’un romancier. Il dresse entre les lignes une sorte d’hygiène de l’écrivain.

Cette entreprise est la bienvenue, car il existe peu de guides pratiques pour écrire de la fiction dans le monde de l’édition francophone, contrairement, on s’en doute, à ce qui se passe chez nos voisins du sud, où ce type de manuels pleut. Toutefois, d’entrée de jeu, le titre est trompeur. Le terme "romancier" laisse croire qu’il sera question de littérature. Pourtant, tout au long du texte, Fisher fait lui-même une différence entre la littérature dite sérieuse et la "littérature" qu’il pratique, celle " qui n’a cure du style" et qui ne mise que sur l’histoire. D’ailleurs, il affirme plusieurs fois, non sans fierté, qu’une des grandes différences tient aux tirages: "Si tu veux être lu par un large public, l’histoire doit primer. Les auteurs américains l’ont assez bien démontré."

L’écriture et la vie
Cela dit, est-ce un bon guide pour apprendre à élaborer un best-seller? Fisher reprend à son compte un peu du ton paternaliste des célèbres lettres de Rilke, mais là s’arrête toute comparaison. Rilke, comme on sait, se plonge corps et âme dans la rédaction de ces lettres pour faire le point sur ce que la poésie représente pour lui, pour mettre à l’épreuve ses certitudes. Marc Fisher, lui, laisse choir ses conseils en décrivant au passage ses pérégrinations touristiques en Europe, sans jamais amorcer une réelle réflexion sur l’écriture ou sur le phénomène d’un livre à succès. En fait, son guide est farci de lieux communs ("qui veut écrire doit lire"), d’approximations (les plus outrageantes sur la Poétique d’Aristote), de faussetés (dire qu’on a aujourd’hui oublié les frères Goncourt), d’erreurs (Le Malentendu de Camus est une pièce de théâtre et non une nouvelle) et d’aberrations (il déconseille une formation littéraire à quiconque veut écrire et avance, sans rire, que la survie de la littérature québécoise passe par les best-sellers).
En outre, comme il ne se concentre que sur la mécanique du récit, la plupart des conseils que prodigue l’auteur ressemblent un peu trop à ceux de Screenplay, de Syd Field, guide bien connu s’adressant aux scénaristes en herbe. D’ailleurs, il tire autant ses exemples d’auteurs à succès comme Crichton et Grisham que de films hollywoodiens comme Fatal Attraction ou Forrest Gump. Au fond, il y a très peu à se mettre sous la dent tant lesdits conseils sont minces et prévisibles. Souvent, ce n’est que du gros bon sens. Faut-il un guide pratique pour comprendre qu’agrémenter une intrigue d’un peu de suspense risque de rendre les choses plus haletantes?

Le seul mérite de Fisher est d’être clair. Quand son neveu lui fait part de son désir de devenir un grand écrivain, il lui répond sans hésiter: "Laisse en paix les grands écrivains! (…) Admire-les certes, mais de grâce, si tu ne veux pas empoisonner toute ta vie, ne te répète pas comme le fit Hugo à quatorze ans dans son journal: "Je serai Chateaubriand ou rien!"" Il décourage les idéaux littéraires de son neveu et lui suggère plutôt d’emprunter la voie royale des best-sellers, bien plus payante et moins éprouvante. Regarde-moi, je gagne si bien ma vie, semble dire cet oncle qui ne pèche certes pas par modestie. Bref, pour apprendre à élaborer un best-seller à l’aide d’un manuel en français, il faudra encore patienter.

Quant aux têtes dures qui optent pour la voie "idéaliste" de la littérature, le meilleur essai demeure à ma connaissance The Art of Fiction, de John Gardner, professeur et maître à penser du nouvelliste américain Raymond Carver. Si l’on ajoute On Moral Fiction (élégamment traduit en 1999 par François Hébert, sous le titre Morale et Fiction, aux Presses de l’Université de Montréal) et On Becoming a Novelist, Gardner a pondu là une trilogie qui est une des plus stimulantes introductions à la vie d’écrivain (vivement une traduction en français des deux autres essais!). Ou bien, en français, on peut toujours relire les lettres de Flaubert à son amante Louise Colet pendant les cinq ans qu’a duré la rédaction de Madame Bovary, et que les Éditions du Seuil ont eu la brillante idée il y a quelques années de rassembler dans un livre intitulé Préface à la vie d’écrivain. Ce sont des réflexions sans concession sur les "affres du style", qui donneront l’heure juste à l’écrivain en herbe sur l’ampleur du travail à abattre.

Conseils à un jeune romancier
Éd. Québec/Amérique, 2000, 134 p.

The Art of Fiction, Vintage Books, 1991
On Becoming a Novelist, Harper & Row, 1983
de John Gardner

Préface à la vie d’écrivain
Éd. du Seuil, 1990