Vincent Engel : Oubliez Adam Weinberger
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Vincent Engel : Oubliez Adam Weinberger

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’écrivain belge Vincent Engel n’a pas peur des sujets graves ou douloureux. Le jeune auteur de 37 ans a signé, entre autres livres, un recueil de nouvelles habitées par de grandes questions (La guerre est quotidienne, 1999), et trois essais sur la Shoah. Dédicadé, notamment, à Elie Wiesel, son nouveau roman, Oubliez Adam Weinberger, est lui aussi hanté par l’Holocauste.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’écrivain belge Vincent Engel n’a pas peur des sujets graves ou douloureux. Le jeune auteur de 37 ans a signé, entre autres livres, un recueil de nouvelles habitées par de grandes questions (La guerre est quotidienne, 1999), et trois essais sur la Shoah. Dédicadé, notamment, à Elie Wiesel, son nouveau roman, Oubliez Adam Weinberger, est lui aussi hanté par l’Holocauste.

Reposant sur une idée forte, le récit est divisé en un "avant" et un "après", chronologie organisée autour d’un trou noir: la Shoah. Mais il n’y aura pas de "pendant". L’indicible est justement l’un des grands thèmes d’Oubliez Adam Weinberger: l’impossibilité de nommer, l’impuissance de tout langage après la tragédie, alors que "tous les mots sentaient la mort". Rescapé d’Auschwitz, Adam a donc choisi de se taire. Le médecin s’est fui lui-même, a changé d’identité. Ce n’est qu’à la fin de sa vie qu’il consent à raconter (une partie de) son passé, pour un jeune voisin, à qui il reviendra de reconstituer son histoire.
Dans la première portion du roman, écrite au "je", Adam recompose donc avec beaucoup de verve son passé, alors qu’il était un jeune garçon vivant dans une bourgade polonaise de l’entre-deux-guerres, encombré par le poids des traditions et de la religion. Dès ses douze ans, Adam tente de réécrire le monde, de réinventer le dur destin des siens à travers des "histoires de Juifs heureux". Ainsi, il déniche à sa soeur Rachel un prétendant "goy", afin de lui épargner les corvées du shabbat, qui semblent peser si lourdement sur sa pauvre mère, murée dans un silence las. Mais l’amour ne suffit pas et la romance échoue sur les différences de confessions.
La conclusion n’est pas plus heureuse pour le beau rêve romantique qu’il s’était imaginé vivre avec Esther, fille adoptive de son oncle. "On croit écrire son propre roman, on l’écrit parfois noir sur blanc, mais le scénario que la vie nous impose ne s’en inspire même pas. Tout au plus prend-elle la peine d’en rédiger une amère satire." La dure réalité reprend ses droits, et pour les Juifs de cette époque, elle a la couleur d’inquiétudes politiques. Le mal veille, et les proches d’Adam ont beau chacun préconiser leur propre messie – Dieu, le sionisme, le communisme, ou simplement une humanité soignante -, rien n’y fera rien…

Vincent Engel établit dans ce récit un étonnant ton tragi-comique où la conscience de la catastrophe à venir (passée, en fait, pour le narrateur) s’entrechoque avec un humour vigoureux: "L’ironie, la dérision demeuraient les seules formes de sainteté possibles", écrit-il. Une réussite.

Très différente, racontée à la troisième personne, la deuxième partie expose une cassure irréparable. Seul survivant parmi sa famille de ce lieu infernal "dont je ne dirai rien", Adam se voue à la "religion des absences", enferme son angoisse dans des bateaux en bouteilles qu’il baptise du nom de ses chers disparus (une touchante idée). Et parle peu.

D’autres le feront pour lui. Explorant la culpabilité de l’"après", le roman passe alors le relai de l’histoire à d’autres personnages, des témoins qui ont croisé son existence solitaire et recluse: un docteur français, qui a profité, ne serait-ce que par circonstances fortuites, de l’Occupation nazie, et une jeune Juive américaine, restée à l’abri d’une tragédie qu’elle voudrait bien comprendre à travers Adam.

Et c’est hélas la partie la moins forte du livre, handicapée par des personnages moins intéressants, un récit plus ou moins crédible, une écriture qui paraît parfois un peu bâclée (Engel est pourtant capable de phrases saisissantes).

Il faudra l’épilogue pour retrouver la voix émouvante d’Adam Weinberger, meilleur témoin de cette histoire qu’il ne pouvait pas raconter. On ne l’oubliera pas si aisément.

Éd. L’instant même, 2000, 273 p.