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Festival international de la poésie de T-R : En vers et contre tous

Le seizième Festival international de la poésie de Trois-Rivières a tenu promesse. Fête des mots et du langage, il a contribué, une fois de plus, à rapprocher quotidien et  poésie.

La semaine dernière, je débarquais à Trois-Rivières comme on débarque sur une planète nouvelle. C’était ma première visite au Festival de la poésie, et je ne savais vraiment pas à quoi m’attendre. Déjà que je connaissais à peine la ville.
J’allais rapidement trouver mon chemin. À se balader dans le centre-ville trifluvien, entre le 29 septembre et le 8 octobre, on croisait vite les chemins de la poésie. Elle avait fait son nid un peu partout: dans les cafés, les restos, les parcs, les maisons de la culture. Et surtout dans les coeurs.

Quelques heures plus tard, en sortant du café-bar Zénob, je m’entretenais avec Mohammed Bennis, un poète marocain. Il venait de réciter une dizaine de poèmes, passé minuit, parmi les vapeurs éthyliques, et n’en revenait pas de la réceptivité des oiseaux de nuit qu’il avait eus devant lui. "Je suis émerveillé de trouver une telle qualité d’écoute dans un endroit que j’aurais cru très peu préparé à la poésie. Au Maroc, la poésie dans les bars, ça n’existe pas."

C’est ça, le Festival de Trois-Rivières. Une écoute véritable, un respect de la parole, jusque dans les pubs. "Il faut dire qu’on a éduqué le public", me dit Gaston Bellemare, fondateur et directeur du Festival. "Il y a quinze ans, c’était plus tumultueux! Mais au fil des ans, les gens ont développé une écoute exemplaire. Nous avons d’ailleurs favorisé ça en instaurant la règle des trois minutes. C’est-à-dire que les poètes ne peuvent rester au micro que trois minutes à chaque intervention."
De quoi rassurer ceux qui ont déjà assisté à l’une de ces soirées où un illuminé s’agrippe au micro et nous entraîne, des heures durant, dans les affres marécageuses de sa complainte existentielle…

Le tour du monde en dix jours
"La poésie vend très peu. Ce n’est pas par les librairies qu’il faut passer, vraisemblablement, alors il fallait créer cet événement!", raconte Gaston Bellemare. Seize ans plus tard, ce festival est l’un des plus importants du genre au monde, une machine à échelle humaine mais à la mécanique bien huilée, qui compte sur une centaine de commanditaires et parvient à faire venir des poètes de partout. Cette année, sur les quelque cent cinquante poètes présents, une vingtaine arrivaient du Liban, du Luxembourg, d’Espagne… Une occasion unique d’entendre des voix étrangères.
On a fait du chemin, en seize ans. Quand Félix Leclerc, invité à la première édition, en 1985, lançait, prophétique: "Vous allez voir, Trois-Rivières va devenir la capitale de la poésie!", Gaston Bellemare ouvrait de grands yeux incrédules. "À l’époque, l’idée que ça puisse prendre autant d’ampleur s’apparentait, pour moi, à de la science-fiction! Heureusement que nous étions un peu naïfs, d’ailleurs, parce que si nous avions rêvé le projet ainsi dès le départ, nous ne l’aurions jamais réalisé. Une telle somme de travail, ça nous aurait effrayés!"

Il fallait voir la programmation de cette année, en effet. À travers une multitude d’apéros-poésie, de soupers-poésie et autres manifestations quotidiennes, avaient lieu des vernissages, des lancements de recueils, des hommages aux grands de la poésie. Sans compter les événements Voix off, qui donnent l’occasion à des auteurs moins connus de dire leurs vers.

L’un des moments forts du Festival fut cette soirée organisée par Amnistie Internationale, où les poètes invités se faisaient les porte-voix de leurs confrères détenus ou assassinés. En effet, en Algérie ou ailleurs, des dizaines de poètes ont été enfermés ou supprimés pour avoir dénoncé des régimes inhumains, pour avoir chanté trop fort la liberté, ou simplement pour avoir écrit en français. Leurs textes ont été lus, voix tremblante, comme des messages trouvés dans une bouteille apportée par la mer. Étranglés de rage et d’émotion, nous étions.

Le Festival culminait, le samedi 7, lors des deux Grandes Soirées de la poésie, où une trentaine de poètes de renom firent toute une fête au langage. Cette année, les Grandes Soirées étaient dédiées à la mémoire d’Anne Hébert et de Joseph Bonenfant, disparus depuis peu. Salle comble et enthousiaste, les deux fois.

Droit de parole
Il se trouvera toujours quelques puristes pour dire que pareille foire sied mal à la parole poétique. Que ceux-là ruminent chez eux. À une époque où l’on communique à la fois plus et moins que jamais, où les discours sont souvent dénués de sens profond, ça réconcilie un peu avec le genre humain que de voir et entendre des gens s’époumoner pour autre chose que des motivations mercantiles.

Tout le monde est dans le coup, à Trois-Rivières. Les écoliers, les malades mentaux, les femmes des quartiers ouvriers. Fallait voir la madame, lors d’une activité de préparation à l’imminente Marche mondiale des femmes, surmonter des décennies de complexes et lire un texte de son cru. On aurait dit une matante sortie des Belles-Soeurs de Tremblay qui aurait découvert, à cinquante ans passés, les vertus de la parole.
C’est une belle planète, Trois-Rivières.