Mario Cyr : État d'urgence
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Mario Cyr : État d’urgence

Avec deux nouveaux titres lancés cet automne, MARIO CYR nous aura donné pas moins de cinq romans cette année. Un boulimique de l’écriture, qui, surtout, fait entendre une voix forte,  sensible.

Depuis une demi-heure, attablés aux Belles-Soeurs, j’écoute Mario Cyr me parler de son travail. D’une voix calme et posée, il m’entretient d’urgence, de passion, de brûlure. Honnêtement, je m’attendais à rencontrer un hyperactif du verbe – affection nécessaire, pensais-je, pour pondre cinq romans dans la même année. Et j’ai pourtant devant moi un homme serein qui, patiemment, me donnera les outils qu’il faut pour mieux circonscrire son univers, mieux comprendre ses urgences. On pourrait appeler ça de la force tranquille.

"En 1996, j’ai perdu mon dernier chum, qui est mort du sida, raconte Mario Cyr. Nous étions déjà séparés, mais je l’ai accompagné dans son cheminement. J’avais déjà plus de quarante ans, et c’était la première mort de ma vie d’adulte, la première fois que je la voyais de près. Cela a créé un sentiment d’urgence. Je savais depuis longtemps que je pouvais écrire (Mario Cyr est rédacteur de profession); mais à partir de ce moment-là, j’ai éprouvé la nécessité de rendre compte de ce que je vivais."

En 1997 paraissait L’éternité serait-elle un long rêve cochon?, dont le narrateur est un jeune sidéen. Dans un mélange d’humour, de détresse et de curiosité, ce dernier voit venir la mort, une mort qui l’emportera à vingt-sept ans. Tout comme celui qui a inspiré le personnage. "Tous les petits deuils liés au vieillissement, mon ami les a vécus en accéléré. C’est quelque chose qui m’a fait beaucoup réfléchir."

L’enjeu de la vérité
Plus tôt cette année, Mario Cyr signait Et les mouettes tournoient obstinément au-dessus de nos têtes, un roman où la mort a aussi une place prédominante; dans la foulée, paraissaient Ce garçon trop doux et Ce n’est qu’avec toi que je peux être seul. Cet automne, l’écrivain renchérit avec Hacker et Nuit claire comme le jour, un livre de facture tout autre, qu’on dit être le premier roman gai pour ados publié au Québec.

Mario Cyr sait aborder avec doigté des thématiques difficiles. Quand on referme l’un de ses livres, la mort semble moins vide; les deuils, moins opaques. Non parce que l’auteur les dédramatise, mais parce qu’il s’applique à en montrer le vrai visage, celui que masquent les tabous de notre société.

Dans Hacker, un homme se réveille en plein cauchemar. Comateux, incapable du moindre mouvement, il réalise lentement ce qui lui arrive: à la suite d’un accident, il se retrouve branché à un respirateur artificiel. Dans sa torpeur, il fait le deuil forcé de son corps, en même temps qu’il réalise le peu de sens de sa vie bourgeoise, réglée au quart de tour, mais sans amour ni amitié sincère.

L’autre personnage principal du roman, un garçon "au regard profond et froid", entretient un rapport antinomique avec le premier. Si l’un se meurt de ne plus incarner l’enveloppe inerte de son corps; l’autre, pour qui la jeunesse rime avec violence et abus sexuels, refuse d’incarner le corps qui est le sien.

L’homme plongé dans la coma sera bientôt hanté par le plus jeune, alors que s’organise une curieuse correspondance entre les deux êtres, et ce, jusque dans la mort. Cette mort qui, en s’approchant, donne du relief à la vie, en montre les beautés comme les affres.

Voix intérieures
l y a une étonnante pluralité des voix dans l’oeuvre naissante de Mario Cyr, qui n’hésite pas à emprunter des voix éloignées pour mieux embrasser la réalité. Dans Et les mouettes tournoient obstinément au-dessus de nos têtes, par exemple, il se glissait dans la peau d’une fille de quinze ans que ses parents obligent à se prostituer.

Aujourd’hui, Nuit claire comme le jour montre un adolescent qui affirme son homosexualité. D’abord d’un pas mal assuré, puis de plus en plus convaincu, il marche sur une voie qu’il sait être la bonne. Peu d’obstacles se dressent, d’ailleurs, mis à part quelques quolibets lancés dans la cour de l’école, dont aura vite raison le torrent de ses émotions nouvelles. "Moi, c’est comme ça que j’ai vécu la découverte de ma sexualité. Je ne voulais pas tant décrire les difficultés rencontrées que l’immense curiosité qui anime le personnage. Je voulais dire les images qui jaillissent dans son jeune esprit."

Mario Cyr se fait parfois reprocher de faire raisonner ses personnages d’enfants comme des adultes. L’auteur est conscient de leur attribuer quelquefois des réflexions très articulées, comme dans Nuit claire comme le jour, mais défend sa conception de la littérature. "On ne devrait pas exiger d’une fiction qu’elle soit réaliste. Bien souvent, tout ce qu’on pourrait mettre dans la bouche de personnages de quinze ans, c’est "T’sé veux dire, man…". C’est limité. Par ailleurs, je suis convaincu que si l’on arrivait à placer un micro sur le coeur d’un adolescent, on entendrait des choses comme on en trouve dans Nuit claire comme le jour. Sans avoir toujours les mots pour le dire, le jeune a en lui ces idées-là, cette poésie-là."

Dans la démarche de Mario Cyr, l’intuition prime sur la construction littéraire. Il cherche moins à décoder ses voix intérieures qu’à bien les écouter, à bien les rendre par l’écriture. "J’écris souvent des choses sans savoir à quoi cela correspond, admet-il. Des choses que je comprends des années plus tard. Je trouve le phénomène intéressant, parce que ça me permet de ne rien diriger. Je ne censure jamais l’histoire qui m’habite. J’ai résisté longtemps à l’envie d’écrire, mais depuis que j’assume ce que c’est, je l’assume pleinement."

Il fait bien, Mario Cyr, parce que son écriture libre, crue, violente par moments, dit les sentiments les plus forts avec justesse. Elle transcende les quêtes de ses personnages pour embrasser la quête humaine dans ce qu’elle a d’universel.

Il ne faut pas s’attendre à moins de diversité pour la suite. L’écrivain compte, entre autres, finir la trilogie amorcée avec L’éternité serait-elle un long rêve cochon? et Ce n’est qu’avec toi… Il a aussi en tête un livre qui porterait sur la réalité de la vie d’écrivain, de même qu’un prochain roman pour ados.

Programme éclectique, dont il parle de la même voix posée mais où vibre la passion. "Avec ce qui s’en vient, je vais surprendre bien du monde!" annonce-t-il. Nous voilà prévenus.

Hacker, de Mario Cyr
Éd. des Intouchables
2000, 104 p.

Nuit claire comme le jour, de Mario Cyr
Éd.des Intouchables
2000, 120 p.