Garçon manqué : Pour la suite du monde
Selon l’écrivaine Yasmina Bouraoui, devenue avec les années Nina (ça fait plus français), la guerre d’Algérie n’est pas finie. Elle l’écrit dans son sixième ouvrage, Garçon manqué, roman autobiographique (mais pas nombriliste), dans lequel la jeune femme, mi-trentaine, raconte son enfance déchirée entre ses deux pays d’origine.
Selon l’écrivaine Yasmina Bouraoui, devenue avec les années Nina (ça fait plus français), la guerre d’Algérie n’est pas finie. Elle l’écrit dans son sixième ouvrage, Garçon manqué, roman autobiographique (mais pas nombriliste), dans lequel la jeune femme, mi-trentaine, raconte son enfance déchirée entre ses deux pays d’origine. "Je ne sais pas si je suis chez moi, ici, en France. Je ne le saurai jamais d’ailleurs. Ni à Rennes, ni à Saint-Malo, ni à Paris. Je ne sais pas si je suis chez moi en Algérie. Je ne le vérifierai jamais. (…) J’ai toujours eu l’impression d’avoir eu un secret. D’avoir une double vie. D’abriter quelqu’un d’autre que moi. Que ma partie visible. De changer de visage. Selon le pays. Selon le policier. Selon les gens que je rencontre."
Nina Bouraoui est née en 1967, à Rennes, et n’est pas qu’une "superbe créature franco-algérienne", comme l’écrivait récemment le journaliste de La Presse, L. B. Robitaille. Elle est surtout la romancière d’une génération post-indépendance, ce qui n’est pas rien quand on connaît l’histoire des rapports entre l’Algérie et la France. C’est tout le sujet de ce livre dont Alger et Rennes sont les deux pôles: l’un masculin, l’autre féminin. Nina Bouraoui est née d’une mère bretonne, blonde aux yeux bleus, et d’un père algérien, très typé, autant que Nina et sa soeur le seront.
La narratrice évoque la rencontre de ses parents, en 1960, à deux ans du départ des Français d’Algérie (1962), événement qui est en soi une pure transgression. "Sans accent, le jeune Français musulman demande la main de ma mère dans le petit salon bleu et entre ainsi dans la tradition de toutes les familles: la vie se chuchote et les secrets se gardent. (…) Ma mère quitte la maison. Elle vit avec lui. C’est difficile. Mais ils tiennent."
Ses parents, tous deux professeurs, devront quitter la France lorsque, après la libération, les Français musulmans deviennent des Algériens, et ne trouvent plus de travail dans le pays de de Gaulle. C’est alors que la petite famille part pour le pays africain, et que les fillettes découvrent un tout autre monde.
C’est alors surtout que Nina observe le racisme, sous toutes ses formes, et comprend à rebours pourquoi son père a dû quitter la France. Pourquoi aussi sa mère est haïe des Arabes, elle, la blonde, occidentale, par définition colonisatrice.
Par-dessus tout, la petite fille découvre une Algérie où seuls les hommes ont le droit de vivre en public, de parler, de s’exprimer; et où les femmes s’effacent, ne vivent plus, comme elle l’avait déjà dénoncé, entre autres, dans La Voyeuse interdite (prix du Livre Inter, 1991) et dans Le Jour du séisme (1999).
C’est le récit de cette identité troublée que raconte Nina Bouraoui. L’écriture hachurée, agaçante au début du roman, finit par prendre tout son sens. En effet, l’auteure adopte un style psalmodié, qui reproduit la cadence des prières coraniques qui bercent les cultures musulmanes. De plus, l’on comprend rapidement que la colère rythme le récit d’une jeune fille révoltée contre la misogynie, contre le racisme sous toutes ses formes; contre cet amour, Amine, qu’elle aura perdu, mais qui nourrit son imaginaire depuis sa tendre enfance.
Oui, il s’agit sans aucun doute d’une déclaration d’amour à l’Algérie, et à sa famille, que signe Nina Bouraoui. Mais c’est aussi une réflexion très riche et nuancée sur les ravages de la guerre, du racisme, désastres que ne soupçonnent pas les "pure laine": la France (l’Occident) n’est pas un lieu tranquille, lorsque la couleur de la peau ou l’accent sont suspects.
Éd. Grasset, 2000, 196 p.