Sir Robert Gray : L'amour à l'anglaise
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Sir Robert Gray : L’amour à l’anglaise

L’énigmatique Sir Robert Gray persiste et signe. Ou presque. Cette fois, c’est la voix d’une tante libertine et très british qu’il emprunte, allant même – comble de courtoisie! – jusqu’à lui attribuer son troisième roman: L’Amour à l’anglaise.

Lady Roberta Gray, la tante en question, a de l’amour une longue expérience. C’est même à sa maîtrise de l’art amoureux qu’elle doit ses beaux atours et son luxueux appartement, ayant toujours su tirer profit de ses aventures avec des hommes du monde. La séductrice vieillissante fait une narratrice pas banale, et quand elle entreprend de raconter l’histoire de sa nièce Ann (décidément, ce roman est une affaire de famille!), elle le fait sans pudeur, avec moult détails, prodiguant çà et là des conseils aux amoureuses en herbe.

On l’imagine assise dans un élégant fauteuil, l’oeil coquin, tasse de thé à la main gauche et petit cake anglais dans l’autre, confiant à des amies les péripéties sentimentales de sa nièce. Le ton du roman est donc celui du bavardage, et Roberta s’excusera continuellement de s’écarter de son propos, ou encore de commettre des erreurs de français – ingénieuse trouvaille de son "neveu" pour nous faire avaler ses tournures de phrases calquées sur l’anglais et ses approximations syntaxiques. "Mon Dieu! quelle drôle de tournure de phrase, vous ne trouvez pas?" lira-t-on à l’occasion.

Vous l’aurez compris, ce livre en soi est une histoire. Mais parlons un peu de l’histoire qu’il raconte. Ann, donc, travaille à l’hôtel Reine-Élizabeth de Montréal. Elle y rencontre Ted, un consultant en ressources humaines qui fera chavirer son coeur, mais dont elle croit qu’il n’est pas fait pour elle: elle boulotte, lui élancé; elle sédentaire, lui poète et globe-trotter. Or, une belle idylle commence. Guidée par Charles, homosexuel lucide et attentionné, Ann surmontera ses complexes et fera fi des obstacles, dans un milieu où les rivalités professionnelles viennent parfois mêler les cartes.

Un tantinet grivoise, Lady Roberta glisse une série d’historiettes salées dans le récit, décrivant avec précision le passé sexuel des protagonistes. "J’espère que je ne vous choque pas trop, mes poulettes?" lancera-t-elle. Voyeuse et impertinente, elle en arrive néanmoins à brosser des portraits touchants de ses personnages principaux, personnages heureusement peu nombreux – on évite ainsi la confusion suscitée par L’Heure au jardin, l’oeuvre précédente de Gray, où trop d’acteurs demeuraient mal définis.

Bien sûr, le roman repose sur un subterfuge, celui d’une narratrice au français déficient. Mais il y a chez Gray une telle invention narrative, une telle originalité, une autodérision tellement rafraîchissante qu’on se laisse volontiers mener en bateau.

Le meilleur Gray à ce jour.

Éd. de l’Effet pourpre, 2000, 224 p.