Revue de bandes dessinées : Spoutnik
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Revue de bandes dessinées : Spoutnik

Les tirages de bandes dessinées étant ce qu’ils sont au Québec, Spoutnik ne restera pas en orbite indéfiniment. Nous vous recommandons donc d’entrer immédiatement en contact visuel avec ce phénomène.

Spoutnik, la revue de bandes dessinées (volume 2)
Le plus remarquable dans cette deuxième livraison tant attendue de Spoutnik, ce n’est pas seulement que la revue soit demeurée à l’image de ses deux coéditeurs, Martin Brault et Frédéric Gauthier, dédiés corps et âme à une bande dessinée d’auteur ouverte sur le monde. C’est aussi qu’elle nous offre une sorte de synthèse de toutes ces nouvelles tendances cultivées par des créateurs d’origines diverses que nous avons pu apprécier dernièrement (et que nous avons tenté de vous faire connaître dans ces pages). Des tendances et des créateurs qui s’inscrivent dans l’actuelle renaissance de celle qui a bien mérité son appellation de "neuvième art".

Avec une ligne éditoriale visant entre autres à susciter la participation d’artistes québécois qui ne sont pas nécessairement des auteurs de bandes dessinées, mais des professionnels de l’illustration, Spoutnik s’assure de livrer des images nouvelles et audacieuses. C’est le cas de Virginie Faucher qui, avec sa jolie baigneuse, crée sa première bande dessinée "à la carte à gratter", révélant les possibilités jusqu’ici inédites du médium. Dans sa bande muette Méfie-toi, tout n’est pas un jouet, l’illustrateur Rémy Simard, quant à lui, sert un message de prudence original et percutant dans un dessin soigné, assisté par ordinateur.

Côtoyant les nouveaux venus, on trouvera des auteurs étrangers reconnus, tels Pascal Rabaté, ouvrant l’album avec son Photomaton, et Christophe Blain, v enant fournir une belle et courte perle au collectif montréalais. L’Allemand Ulf K. (toujours obsédé par les livres), l’Autrichien Nicolas Malher et les Français Marc Lizano, Morvandiau et Tanitoc (lequel adapte une chanson de Tom Waits, Goin’ Out West) complètent le tableau.
Malgré sa promotion des nouveaux courants graphiques, le livre dégage une agréable nostalgie du passé. Nostalgie à laquelle sont loin d’être étrangers le titre de Spoutnik (du nom du premier satellite lancé dans l’espace par l’URSS, en 1957) et le graphisme rétro de la couverture réalisée par Seth. Sans compter la tendance nettement autobiographique adoptée par plusieurs: de la chronique gaspésienne de Guy Delisle, qui poursuit le thème de la cruauté des enfants abordé dans Spoutnik 1, aux souvenirs montréalais de Michel Rabagliati qui prête à la revue, l’espace de trois planches, son sympathique alter ego, Paul (qu’on a pu découvrir dans Paul à la campagne). Benoît Joly y contribue également, nous offrant de revoir ces Chiboukies de notre enfance dans un nouveau format, tandis qu’avec son dessin naïf et fin, Sophie Casson nous raconte le "début d’une nouvelle vie" après le voyage et la déception amoureuse de sa filiforme héroïne.

Une présence qui participe de façon évidente à cette nostalgie: celle du "père de la bande dessinée québécoise", Albert Chartier, 88 ans. En plus de deux planches mettant en scène Elsinore et Kiki (qui frappent par leur humour actuel), Chartier a offert sept planches choisies d’Onésime, son célèbre héros du Bulletin des agriculteurs. On sourit d’abord à ces relents d’une autre époque (pas si lointaine) où les excursions en ville ou aux "États" représentaient l’aventure suprême pour ce campagnard des Laurentides. Puis, on apprécie la précision du trait (les rondeurs de l’autoritaire Zénoïde superposées à la sveltesse de sa jeune nièce) et on s’étonne des similitudes avec la ligne graphique de certains jeunes créateurs, comme Seth et Rabagliati, qui manifestement s’en inspirent.

Les tirages de bandes dessinées étant ce qu’ils sont au Québec, Spoutnik ne restera pas en orbite indéfiniment. Nous vous recommandons donc d’entrer immédiatement en contact visuel avec ce phénomène.

Éd. de la Pastèque, 2000, 154 p.