Raôul Duguay : Les infoniaques s'amusent
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Raôul Duguay : Les infoniaques s’amusent

Parmi les événements culturels qui ont jalonné notre histoire, les activités de L’Infonie font date tant de par l’énergie subversive du groupe que par sa capacité à métisser les genres. Après 33 années, un ouvrage vient enfin faire le point, préparant la voie à une toute première réédition de même qu’à un nouvel enregistrement.

Les anniversaires sont un prétexte à bien des choses. Bilan, regain d’une cause, fermeture ou bien ouverture nouvelle, la commémoration est un terrain aussi propice à la nostalgie qu’à l’invention. Raôul Duguay, lui, est en train de prouver qu’il est encore possible de renouveler notre présent sans partir de zéro.

C’est ce que démontrait Caser, son récent album, où il rajeunissait certains succès tout en les accompagnant de ses nouvelles compositions. C’est ce que prouvait aussi le tout nouveau recueil de poèmes Nu tout nu, le rêveur réveillé, qui donne l’heure juste après la réédition de ses premiers livres par les Éditions Trois-Pistoles. Aujourd’hui, Duguay devient l’indispensable historien de deux moments charnières de la contre-culture québécoise: tout en poursuivant un ouvrage sur la célèbre revue Mainmise, il en publie un ces jours-ci à propos de l’ensemble musical L’Infonie, qu’il cofonda jadis avec Walter Boudreau. Le résultat, L’Infonie, le bouttt de touttt, est une somme essentielle où Duguay a rassemblé les témoignages des principaux intervenants de même que les principaux documents textuels et graphiques originaux. Quelque 333 pages auxquelles il ne manque que le son, ce que viendra réparer la réédition inespérée de Volume 3, premier album de L’Infonie.

Le Raôul que j’ai rencontré était un homme grippé, un peu amer envers le showbiz malgré sa détermination à demeurer l’artiste du XXIe siècle qu’il a toujours cherché à être. Après la récente exposition du Musée d’art contemporain où fut lancé le livre au milieu de 50 oeuvres et d’artefacts, il est totalement tourné vers l’avant malgré l’opération de mémoire qu’il vient d’accomplir.

"Je considère ce livre comme un document historique. L’Infonie est un événement qui a sa place dans notre histoire. Notre grande caractéristique était qu’en un seul soir on faisait un panorama de toute la musique qui était écoutée. Il y avait aussi de l’improvisation, mais entre les pièces. Plus on a avancé, plus on est devenu structuré. Même qu’à un moment donné, les arrangements de Walter sont devenus si songés qu’on ne pouvait plus suivre. C’est tout un architecte de la musique maintenant!"

Pour saisir l’essence de ce groupe, il faut d’abord creuser le néologisme qui sert à le nommer: "Le mot Infonie, se souvient Raôul, a été trouvé par la femme de Guy Thouin, le batteur, et s’écrivait dans un premier temps Imphonie. Le sens généralement accepté par tous est que le in– est là pour signifier "dedans". Nous cherchions donc à bâtir une symphonie de l’intérieur. Il y a aussi le mot fun là-dedans!"

Même s’ils se sont retrouvés, cette année, pour enregistrer une pièce de Terry Riley interprétée dès leurs débuts (ce dont témoignera sous peu un disque compact), Duguay et Boudreau ne s’illusionnent pas et savent que L’Infonie a accompli ce qu’il lui appartenait de faire. Reste qu’en ces temps où l’imagination n’est pas toujours de mise, l’exemple devrait en inspirer d’autres. Se plaignant de la prépondérance actuelle de l’économique sur le politique et le culturel, Raôul Duguay ne souhaite aux jeunes artistes que deux choses: qu’ils trouvent le moyen de faire à nouveau scandale; qu’ils sachent le faire en beauté.y

L’Infonie, le bouttt de touttt,
de Raôul Duguay

Éditions Trois-Pistoles

2000, 333 pages