Christine Angot : Quitter la ville
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Christine Angot : Quitter la ville

D’entrée de jeu, je dois l’avouer: j’aime Christine Angot. Autant l’écrivaine que le personnage, autant le privé que le public, autant son intégrité, son authenticité, son impudeur, que son agressivité, sa façon d’utiliser les médias, sa soif de célébrité et de reconnaissance.

D’entrée de jeu, je dois l’avouer: j’aime Christine Angot. Autant l’écrivaine que le personnage, autant le privé que le public, autant son intégrité, son authenticité, son impudeur, que son agressivité, sa façon d’utiliser les médias, sa soif de célébrité et de reconnaissance. Autant le bourreau qui nomme les gens qui l’exaspèrent dans son entourage et dans le milieu de l’édition parisienne, que la victime qui se plaint d’être incomprise, bafouée. Mais d’abord et avant tout, j’aime son écriture, au souffle haletant. J’ai aimé l’écouter lire, comme une mitraillette; et depuis, c’est sa voix que j’entends quand à mon tour je la lis.

Christine Angot a finalement goûté au succès, à 40 ans, avec son huitième roman, L’Inceste: le scandale turbulent survenu dans le petit monde littéraire français l’année dernière. Ce livre, qui a divisé la critique et les lecteurs, racontait l’expérience incestueuse que l’auteure avait vécue avec son père. Mais, au-delà de l’oeuvre, le phénomène a engendré une polarisation des prises de position: on se devait d’être pour ou contre Angot. Comme quoi un simple livre peut devenir un fardeau parfois lourd à porter. Au grand plaisir de ses détracteurs.

Ç’aurait été mésestimer Angot que de croire qu’elle puisse crouler sous le poids du monde qui lui retombait sur les épaules. Pour se libérer – les méchantes langues diront plutôt pour profiter de la vague, pour presser le citron de sa notoriété -, elle a documenté le cours de sa vie, les émotions, les frustrations qui l’ont traversée tout au long de la campagne de promotion de L’Inceste. Elle relate son passage assassin chez Pivot, ses rencontres, parfois houleuses, avec de simples lecteurs, lors de ses visites chez les libraires. Et elle interroge le regard qu’on a posé sur elle. "Que ce ne soit pas une merde de témoignage, ils veulent bien. Mais c’est du bluff médiatique, c’est un coup médiatique. La presse croit tenir un os médiatique tel qu’elle aime les ronger, chaque année un nouvel atypique, ruant dans les conventions ou feignant de faire école. Je ne devrais pas passer à la télé, mais moi j’aime ça passer à la télé, ça me donne l’occasion de parler, de dire des trucs, j’aime bien dire des trucs à la télé."

Voilà le ton de Quitter la ville, un récit où le narcissisme qu’on lui reproche est pourtant porteur d’une vérité qui a une dimension universelle. En parlant d’elle, de son succès, des remous qu’il provoque, des polémiques qu’il suscite, elle dit sans ambages ce que nombre d’artistes en quête d’amour et de reconnaissance n’oseront jamais avouer. Christine Angot est désormais obsédée par le chiffre des ventes de L’Inceste. Quitter la ville en témoigne dès la première ligne. Obsédée par l’obtention d’un prix littéraire important qui lui conférerait le statut d’écrivain. Mais peut-on reprocher à un artiste de se préoccuper de l’intérêt que lui portent ses pairs et le public? N’est-ce pas un peu pour eux qu’il fait tout ça? Ne publie-t-on pas pour être lu? Est-ce donc si vulgaire de ne pas être hypocrite et d’exprimer sa satisfaction d’enfin réussir à toucher un lectorat qui ne soit pas que confidentiel?

Je suis dans le clan des "pour" Christine Angot, parce que je crois profondément à son honnêteté, parce que sa parole est porteuse d’un savoir, parce que son écriture est branchée sur sa réalité, qu’elle s’abreuve à la source de la vie qui bat. Et que derrière la femme forte, presque virile, qu’elle incarne, il y a la petite fille brisée qui doute. Qui se demande si, encore une fois, elle devra quitter la ville, pour chercher ailleurs qu’à Montpellier, où elle habite maintenant, un refuge pour simplement vivre. On aurait envie de la serrer dans nos bras.

Quitter la ville
Édi. Stock , 2000, 202 p.