Stanley Péan : La nuit démasque
Des histoires comme celle du petit Damilola Taylor, ce jeune Anglais à la peau noire probablement battu à mort par d’autres enfants, il y a quelques jours, La nuit démasque en regorge.
La nuit démasque
Des histoires comme celle du petit Damilola Taylor, ce jeune Anglais à la peau noire probablement battu à mort par d’autres enfants, il y a quelques jours, La nuit démasque en regorge. Nouvelliste des travers humains, chroniqueur de l’ombre, Stanley Péan donne vie à des personnages tantôt bourreaux, tantôt victimes; parfois les deux à la fois. Victimes de crimes aux motivations aussi lâches que le racisme; un racisme moins affiché qu’auparavant, mais qui nourrit encore de sombres projets dans quelques cerveaux détraqués.
Dans Brasiers, un prof de cégep maugrée contre les Noirs et tout ce que la société compte de dégénérés, de "vermine". Il peste en songeant à la place accordée aux étrangers dans la société, à toutes ces jobs volées… Il voit dans l’immigration la déchéance du Québec. "Dans le cul, ces chimères de multiculturalisme, de transculturalisme, de pluri-ethnicité! Gilles Vigneault était dans les patates: tous les humains ne sont pas de ma race! À vouloir tout mélanger, on n’obtient que du ragoût indigeste!" déplore-t-il. Il ajoute que la jeunesse d’ici ne semble pas résister à l’envahisseur, sans savoir qu’au même moment, son propre fils, avec une bande de copains, est en train de lyncher un pauvre itinérant né avec la mauvaise couleur de peau. Illustration du proverbe "tel père, tel fils", violente au possible, cette histoire est aussi une petite construction littéraire très achevée.
Ailleurs, Péan met en scène des personnages rattrapés par leur passé, par un fantôme qui a tôt fait de leur rappeler d’où ils viennent. Tel est le cas de cet homme originaire d’un quartier ouvrier qui, vingt ans après s’être barré pour aller faire fortune sur la Côte Ouest, revient là où il avait promis de ne jamais remettre les pieds (Le danger croît avec l’usage). Au terme d’une cuite sévère, dans une taverne poisseuse où il a déjà eu ses habitudes, il se fâche avec une vieille connaissance, qui ne l’a pas reconnu, avant de repartir bras dessus, bras dessous avec une fille qui lui rappelle vaguement quelque chose. Quand cette dernière lui offre de tuer quiconque l’importune, il dégrise vite. Effrayé par la proposition autant que par son envie d’y souscrire, il s’enfuit. Mais l’heure des comptes a sonné, dirait-on, et cette fille – cette sorcière? – n’a pas dit son dernier mot. Une histoire haletante, peut-être la meilleure du recueil.
Fidèle à lui-même, Péan se permet encore une incursion du côté du fantastique. Dans la nouvelle-titre, une femme découvre, après un an de vie commune, le vrai visage de son amant. C’est soir d’Halloween, et parmi les petits monstres en quête de bonbons, se profilent des créatures étranges, qui semblent partager un terrible secret avec son conjoint. Un texte étonnant.
La nuit démasque rassemble des nouvelles déjà parues dans les pages de revues et de collectifs. Souvent écrites au vous, elles sont pleines de menues audaces narratives, qui font le style de Péan. Ce livre-là nous laisse peu de répit: l’auteur maîtrise mieux que jamais la montée dramatique et fait preuve d’un sens de la chute redoutable. Et si tous ces portraits de racistes violents dérangent – ne sont-ce pas que de mauvais souvenirs? -, les journaux nous rappellent fréquemment leur triste pertinence.
Éd. Planète rebelle, 2000, 144 p.