Anne Hébert
Alors qu’elle voyage en Touraine, Anne Hébert confie à la caméra qu’il n’y a pas que les lieux physiques qui comptent; dans nos têtes, laisse-t-elle entendre, plusieurs lieux existent que personne ne peut voir. Cette phrase résume bien à la fois l’oeuvre et le personnage, que Jacques Godbout a captés avec justesse dans ce nouveau documentaire, Anne Hébert, présenté vendredi dernier dans le cadre de l’émission Zone Libre de Radio-Canada (et qui sera diffusé ultérieurement sur France 3, dans la série Un siècle d’écrivains).
Car autant Anne Hébert compte dans l’imaginaire littéraire et cinématographique des Québécois, autant elle a toujours échappé aux catégorisations et à la récupération idéologique. Ses lieux à elle, peu de gens les ont connus. Ainsi, dans son documentaire, Jacques Godbout reste toujours très près de l’oeuvre d’Hébert, collé le plus possible aux thèmes que l’on y retrouve. Même si l’on apprend beaucoup de choses sur la vie du personnage, l’oeuvre demeure l’axe autour duquel tournent les images et différents portraits de l’auteure. L’on verra par exemple à quel point le lieu de l’enfance, c’est-à-dire la maison familiale, la rivière (la Jacques-Cartier), l’environnement physique auront été déterminants dans l’oeuvre: comme une scène inaugurale à laquelle Anne Hébert viendra puiser son inspiration, et se retrouver. Après avoir vu le film de Godbout, l’on comprend mieux l’importance capitale de la nature, sauvage mais accueillante, qui poursuivra l’auteure dans chacun de ses livres.
Ceux qui connaissent l’oeuvre d’Hébert apprécieront les analyses éclairantes d’André Brochu qui explique l’influence de Saint-Denys Garneau sur le travail de sa cousine, Anne; l’admiration de Mavis Gallant pour la poésie de l’écrivaine; les propos surprenants mais pertinents de l’éditeur Jean-Marie Borzeix, qui compare l’entreprise d’Hébert à celle de Julien Green, par la présence du mysticisme et de la religion. Comme le dit Brochu, tous les livres d’Anne Hébert évoquent "les amours qui dérangent"; et la transgression, le refoulé, ainsi que le précise Borzeix, sont sous-jacents dans toute l’oeuvre hébertienne, comme diraient les littéraires. De ce refoulé, chacun reste assez loin, se contentant de pointer quelques thèmes (la violence, l’autodestruction, la sexualité trouble), et respectant le silence qu’a toujours gardé Anne Hébert sur sa vie privée.
Signalons également un passage fort intéressant sur la poésie engagée, à laquelle Hébert n’a jamais adhéré. Godbout a mêlé des images de la Nuit de la poésie aux extraits d’entrevues accordées par Anne Hébert sur le sujet; aux sentiments exacerbés et fougueux exprimés par les Pauline Julien et Gérald Godin, succède la placidité de l’écrivaine, seule engagée dans son combat personnel qu’est l’écriture.
Bref, voilà un film qui ne présente pas Anne Hébert comme une femme effacée par simple timidité (aussi est-ce très surprenant, grâce aux archives, de la voir et de l’entendre si souvent!); mais par un choix délibéré de rester "dans sa tête", de se connaître soi-même.
Coproduit par le Canada et la France, le film sera présenté dans le cadre du FIFA, au printemps; dès le 15 janvier, la cassette sera offerte dans les librairies ou en composant le 1 800 267-7710.