Blonde : Une histoire inventée
Quel plus beau personnage pour une romancière que celui de Marylin Monroe? Joyce Carol Oates s’est lancée à la poursuite de la vraie femme derrière l’image et en révèle tous les masques.
Joyce Carol Oates
a donné à la littérature une oeuvre abondante, qui compte à ce jour une quarantaine de romans et novellas, des pièces de théâtre, des recueils de poésie, des essais, des livres pour enfants, et même, signés du pseudonyme de Rosamond Smith, sept romans policiers. Toujours aussi prolifique à 62 ans, la romancière américaine publie cette fois un roman psychologique de près de 1000 pages, au titre aussi succinct qu’est long, parfois interminable, ce pavé. Si l’on pouvait présumer, de par la quantité d’oeuvres à son nom, que Joyce Carol Oates ne craignait pas la multiplication des personnages, on comprend avec ce dernier titre, intitulé Blonde, que c’est là une pierre angulaire de son esthétique. Avec Monroe, Oates a trouvé une occasion en or d’examiner jusqu’à plus soif les mécanismes de création d’un personnage, tout en persévérant dans la description de l’Amérique sordide qui fonde une bonne partie de son oeuvre.
Comme l’explique l’auteure en avant-propos, son ouvrage ne saurait en rien constituer une biographie. Blonde est ni plus ni moins qu’un remake de l’histoire de Marilyn Monroe. Ce qui ne veut pas dire qu’y sont rapportées des faussetés.
La Marilyn Monroe d’Oates ressemble sensiblement à celle que nous ont donnée ses biographes: une enfant mal-aimée qui allait passer sa vie à quêter un amour impossible, couchant ici et là, se donnant tout entière sur commande, usant de n’importe quel moyen pour s’approcher d’un bonheur qui n’aurait forcément jamais l’ampleur de ses rêves. Blonde met d’ailleurs en scène plusieurs personnalités qui ont véritablement fait partie de l’existence de Monroe: dont DiMaggio, dit L’Ex-Sportif (son deuxième époux), Miller dit Le Dramaturge (le troisième), Kennedy, dit Le Prince (dans un rôle éminemment dégueulasse), et Brando, dit (lui aussi) Le Prince (dans un beau rôle, jusqu’à ce qu’on le trouve endormi dans une baignoire pleine de vomi!). Mais Oates a certainement inventé la plupart des scènes, qu’elle rend avec une profusion de détails à faire rougir les biographes: scènes d’auditions, scènes de tournages, scènes domestiques, scènes de voyages, et bon nombre de scènes d’amour, dans lesquelles Marilyn Monroe joue le plus souvent le rôle d’une victime que dégoûte le sexe masculin, ne s’y associant, sans le moindre plaisir, qu’à dessein d’être aimée.
Ce que la romancière a clairement voulu, et réussi à faire, avec Blonde, c’est de montrer comment une jeune fille à l’identité vague (de père inconnu et de mère instable) aura passé sa vie à s’identifier à divers personnages, aussi bien ceux qu’Hollywood a créés pour elle que ceux qu’elle a empruntés, le temps d’une relation amoureuse. De sorte qu’au lieu de se bâtir une identité propre, Norma Jean Baker n’a toujours été qu’une personne de plus en plus irréelle, diluée, ensevelie sous les multiples faces de Marilyn Monroe.
Blonde ne devait d’abord être qu’une novella de 175 pages, qui montrerait la métamorphose d’une jeune fille ordinaire en pin up. Emballée par la narration de ce conte de fées américain, Joyce Carol Oates refusa de s’en tenir là, donnant bientôt 1400 pages à son éditeur. Quoique le texte ait été réduit de plusieurs centaines de pages à l’édition, on peut se demander si la romancière était obligée d’user d’autant d’encre pour prouver ce qu’elle avançait. Particulièrement lors de ces fréquents passages où elle semble avoir trempé sa plume dans la collection Harlequin ("L’Ex-Sportif affirmait l’aimer, n’avait jamais aimé aucune femme comme elle, voulait l’épouser. Dès leur deuxième rendez-vous, avant même qu’ils soient devenus amants. Était-ce possible?").
Une chose est certaine: en faisant plus court, Joyce Carol Oates aurait fait de Blonde un bien plus grand roman.
Blonde
de Joyce Carol Oates
Éd. Stock, 2000, 983 p.