François Barcelo : Drôle de drame
Après Tant pis et Chiens sales, publiés l’an dernier, l’un au Québec, l’autre en France, FRANÇOIS BARCELO présente un vingt-cinquième ouvrage: J’enterre mon lapin. Un livre plein de fautes, qui marque drôlement ses 20 ans d’écriture!
François Barcelo
a quitté la publicité pour devenir écrivain. Il a déjà publié vingt-cinq livres, célèbre ses vingt ans d’écriture, mais n’a jamais eu de plan de carrière. D’ailleurs, comment en avoir un quand on est écrivain?
Mais cela ne l’a pas empêché de tracer un parcours intéressant, varié, pendant lequel l’homme aura touché à plusieurs genres. Alors qu’il s’apprête à lancer son vingt-cinquième titre, J’enterre mon lapin, Barcelo s’est arrêté dans nos bureaux pour répondre à quelques questions. Lui qui ne fait pas trop de bruit dans le milieu littéraire, a des lecteurs fidèles qui aiment son oeuvre sans prétention, son univers ordinaire, dont les protagonistes vivent des aventures inquiétantes, extravagantes.
C’est le cas de son héros Sylvain Beausoleil, déficient intellectuel, muet, qui travaille dans un bureau, l’Agence de gestion des greffes, et qui se retrouve, par innocence, lié à des fraudeurs. Il consigne soigneusement tout ce qu’il vit dans un journal, ses pensées comme ses désirs, qu’il écrit sur son ordinateur. Mais il fait des fautes de français. "Ce personnage est trompeur, dit Barcelo. Parce qu’il écrit mal, on a tendance à penser qu’il est moins intelligent. Or, c’est tout le contraire. Son mutisme le confine à la réflexion, il observe et comprend plus de choses que la moyenne des gens qui l’entourent. De plus, c’est un homme moral, qui ne supporte pas le mensonge ni la tromperie."
Ce choix d’écrire dans un mauvais français a beau être amusant et paraître un jeu, il a tout de même fallu tenir une certaine logique au long du récit. "Bien sûr, tous les déficients intellectuels n’écrivent pas comme ça, précise Barcelo. Mais j’ai choisi cela pour mon personnage, parce qu’il n’a pas si tort que cela dans ses erreurs de français. Quand il met un "s" à "choses" dans "chaque choses", il a raison: si l’on précise "chaque", c’est qu’il y en a plusieurs!" Barcelo trouve d’ailleurs que la langue française est bien compliquée. "J’aimerais en tout cas qu’on la simplifie un peu. D’ailleurs, le correcteur orthographique de mon héros laisse passer plein de fautes. Et ce sont elles que l’on retrouve dans le livre. Et ses fautes sont toutes justifiées."
Chemin faisant
Barcelo aime bien ces pieds de nez aux normes sociales. Ses personnages, tous un peu anticonformistes, permettent à l’auteur de réfléchir sur le monde. "J’essaie de plus en plus de m’éloigner de moi-même dans mes romans, confie-t-il. Je cherche des personnages très différents, et j’adore me mettre dans leur peau, devenir eux le temps d’écrire le livre." Barcelo s’est même mis dans la peau d’une femme, Carmen Paradis, pour son récent polar de la Série Noire, Chiens sales. " C’était la première fois, et j’ai bien aimé. Je trouve que c’est une manière enrichissante de raconter une histoire. On découvre des choses qu’on ne soupçonnait pas. Je pense que ça nous fait peut-être écrire autrement."
Barcelo avoue qu’il ne connaissait pas le genre littéraire qu’il allait pratiquer en commençant à écrire J’enterre mon lapin. "Mes romans, qu’ils soient policiers ou non, sont écrits de la même manière. Après, en cours de route, je décide du genre à adopter. Ce qui m’intéresse avant tout, ce sont les paramètres que je me donne, et qui m’obligent à prendre telle ou telle direction. En fait, ces paramètres, ce sont surtout mes personnages. Ce sont eux qui me guident, qui m’indiquent quel chemin prendra le roman. Pour ce qui est de la recherche, que pratiquent plusieurs écrivains avant de se mettre à travailler, je m’en soucie peu. Je n’aime pas être esclave de la réalité. Ce qui m’intéresse, c’est de devenir quelqu’un d’autre."
Et pour cela, Barcelo fait bien attention de tuer presque tous ses personnages avant de finir un livre. Comme ça, dit-il, ils ne risquent pas de réapparaître. C’est d’ailleurs ce qui l’ennuie un peu dans les polars à la mode, qui misent sur un héros bien défini, qui revient dans chaque nouvel épisode. "Chez Tony Hillerman (romancier américain dont les polars se déroulent chez les Navajos), par exemple, que je viens de lire, c’est exactement cela: mais ça m’ennuie! Je trouve qu’une fois qu’on l’a vu, le héros, et qu’on connaît tout, ce n’est pas la peine de le ramener. Moi, je préfère carrément changer de monde, de personnages. J’aime réinventer des vies. Et j’aime aussi que mes héros soient des gens ordinaires."
Aujourd’hui, François Barcelo continue à écrire des polars pour la Série Noire, puisqu’il est lié par contrat pour la parution de cinq titres. Mais il est plutôt désinvolte au sujet de sa publication en France. "L’intérêt, pour moi, c’est de développer d’autres univers, de trouver d’autres filons, et de gagner des lecteurs. Pour le reste, ne nous énervons pas: la Noire, ce n’est pas la Collection Blanche! À laquelle d’ailleurs je n’ai jamais rien envoyé!"
J’enterre mon lapin
Les premières pages de ce roman sont assez déconcertantes. "Je m’ai mis à écrire hier parce que l’hier d’avant j’ai perdu mon argent de la bière chez Beaubien. C’est sur la rue Beaubien. C’est la seule place où je va le soir des fois. C’est pas loin." Puis, on s’y fait, et l’on cherche, jusqu’à la fin, à percer le mystère de ce personnage. Engagé par l’Agence de gestion des greffes pour classer des dossiers, Sylvain Beausoleil est mêlé à une affaire de fraude. Il continue malgré tout à vivre sa petite routine, et passe ses dimanches chez sa soeur. Ce qui lui importe le plus: écrire son journal, malgré les doutes de son beau-frère Armand. Ce court roman aux allures d’exercice de style n’est pas le meilleur de Barcelo, qui s’est lui-même tendu un piège en choisissant cet insolite pari d’écriture. Par exemple, comment croire aux autres personnages, puisque tout le texte est consacré à rendre crédible celui de Sylvain Beausoleil? Pourtant, son héros est certainement l’un des plus touchants, lui qui veut écrire à tout prix, malgré une méconnaissance de la langue, et son peu d’instruction. La fin du livre justifie toute l’entreprise de Beausoleil qui tente, à sa manière, de comprendre son destin, sa famille, sa solitude.
Éd. Vlb, 2001, 119 p.