Manon Leblanc : Dans le rouge du ciel
Un hôpital psychiatrique constitue un lieu romanesque par excellence. Pas parce que les gens sont prétendument fous, mais parce qu’il s’agit d’un lieu clos, où les individus passent leur vie ensemble. C’est ce lieu qu’a choisi Manon Leblanc, nouvelle dans le métier d’écrivain, et qui signe un premier récit convaincant.
Un hôpital psychiatrique constitue un lieu romanesque par excellence. Pas parce que les gens sont prétendument fous, mais parce qu’il s’agit d’un lieu clos, où les individus passent leur vie ensemble. C’est ce lieu qu’a choisi Manon Leblanc, nouvelle dans le métier d’écrivain, et qui signe un premier récit convaincant.
Dans le rouge du ciel raconte quelques jours dans la vie d’hommes et de femmes, certains internés depuis longtemps, d’autre moins. Leblanc présente avec beaucoup d’humanité une galerie de personnages attachants; parmi eux, Boris, "pyrophile", est captivé par le feu; Charly adore la couleur rouge, qu’elle se trouve dans la confiture de fraises ou dans le sang; Croque aime se déshabiller, mais ne veut le mal de personne; et Mathilde, cette vieille femme, abusée et exploitée par ses enfants, ne comprend pas comment elle est arrivée jusque-là. Et le narrateur dont le fils, Bataille (autre référence à l’auteur du Bleu du ciel) est en prison. "Hier, il a été condamné à vie pour avoir assassiné sa femme. Il a tué Coline. Il a pris un couteau et il l’a tuée. En cour, ils ont dit qu’il avait prémédité son geste."
Ce narrateur observe ses camarades, tout en commentant leurs gestes et leurs comportement, mais avec une grande affection, une compassion qui n’a rien avoir avec la pitié. "À la vue de Guillaume, Mathilde respire. La première visite de son amoureux n’aurait pu être que rêverie, espoir vain. Cette fois, Mathilde sait que quelque chose d’extraordinaire va se produire. Elle sait que Guillaume est sa délivrance, son prince."
Lorsque des poèmes, signés d’un pseudonyme, La Veuve noire, se mettent à circuler parmi les pensionnaires, le mystère les rapproche davantage. "J’abandonne. / Horizon vide. / Fadeur. / Mon âme sombre." L’ombre et la lumière forment une trame à travers laquelle l’on perçoit bien sûr une métaphore, qui n’est cependant jamais appuyée. Comme le titre l’annonce également, le jeu des couleurs parsème le récit d’ espaces de liberté, lui donnant son caractère poétique. Les couleurs, en plus de leurs symboles, ne disent-elles pas que l’imagination ne recourt pas toujours aux mots, à la logique, au concret?
C’est l’une des qualités de ce livre que de mener le lecteur, par l’écriture, vers d’autres perceptions. L’autre mérite de Manon Leblanc est de ne jamais verser dans le sensationnalisme, ce qui peut facilement advenir lorsqu’on traite du thème de la folie.
L’auteure n’évite toutefois pas de faire un petit peu la morale, mais avouons que si le personnel soignant des instituts psychiatriques mérite toute notre admiration, certains accrocs surviennent parfois.
Sur le plan stylistique, quelques maladresses ("Nous avions saisi avant, mais les avant sont déjà du passé dans cet éternel présent qui est le nôtre."???) alourdissent le texte pourtant soigné. La force du récit réside sans hésitation dans la description sobre mais pleine de vie de ces amitiés, ces complicités que le commun des mortels ignore, mais qui sauvent certainement des âmes.
Éd. Vents d’Ouest, 2000, 123 p.