Les Bobos : David Brooks
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Les Bobos : David Brooks

: À nouvelle économie, nouvelle idéologie. C’est un peu ce qui pourrait résumer l’entreprise de David Brooks, cet écrivain new-yorkais, ancien journaliste au Wall Street Journal. Dans Bobos in Paradise, paru l’an dernier et aujourd’hui traduit en français, Brooks fait le portrait d’une nouvelle classe sociale, née d’un mélange de "bourgeoisie" et de "bohème", d’où le surnom, assez laid d’ailleurs, de Bobos.

À nouvelle économie, nouvelle idéologie. C’est un peu ce qui pourrait résumer l’entreprise de David Brooks, cet écrivain new-yorkais, ancien journaliste au Wall Street Journal. Dans Bobos in Paradise, paru l’an dernier et aujourd’hui traduit en français, Brooks fait le portrait d’une nouvelle classe sociale, née d’un mélange de "bourgeoisie" et de "bohème", d’où le surnom, assez laid d’ailleurs, de Bobos. " Ce sont ces Bobos qui définissent notre ère. Ce sont eux, le nouvel establishment. C’est leur culture hybride qui compose l’air que nous respirons tous. Leurs codes sociaux gouvernent aujourd’hui notre vie sociale. Leurs codes moraux structurent notre vie personnelle." Brooks continue ainsi, précisant qu’il fait aussi partie de cette nouvelle élite et que, au fond, ils ne sont pas si mauvais que ça.

D’où viennent les Bobos? Selon Brooks, leurs ancêtres, commerçants et philosophes du dix-huitième siècle, préparaient déjà leur destin. D’un côté, la bourgeoisie naissante exprime alors son goût de réussite sociale, par l’argent et la productivité. – En fait, socialement, elle n’a pas le choix, si elle veut montrer que l’on peut se faire tout seul, et que l’on n’a pas besoin d’être noble pour être quelqu’un. Puis, de l’autre côté, les Romantiques (à prendre dans le sens originel du terme, c’est-à-dire esthétique) vouent un culte à la jeunesse (alors considérée comme un obstacle, on a bien changé) et à l’individu, et s’identifient aux parias de ce monde, aux pauvres, aux criminels.

Ce culte de l’individu et du souci de soi, mêlé au plaisir de l’argent (et de tout ce qu’il représente), c’est exactement l’effet bobo: on achète beaucoup, mais toujours bio et sans danger pour les animaux. Un pouvoir doublé de conscience sociale.

Mais comme l’écrit Brooks avec raison: "Les bourgeois étaient bien plus cultivés" qu’on ne le postulait, et "les rebelles n’ont jamais été aussi immatérialistes qu’ils le prétendaient". Bref, ces deux groupes étaient faits pour s’entendre.

Le point fort du livre de Brooks, c’est son talent pour croquer différents portraits de cette idéologie bobo. Lorsqu’il décrit ces cafés qui poussent comme des champignons aux États-Unis, alors que personne ne connaissait l’espresso la semaine d’avant; ou quand il raconte comment les universités américaines envoient la liste de leurs profs aux médias pour leur signifier qu’ils ont du monde pour commenter telle ou telle controverse; Brooks fait une analyse pertinente des goûts et de leurs significations, le tout avec humour.

Mais l’essayiste va plus loin à la fin de son livre lorsqu’il explique que les Bobos n’ont de bohème que le folklore. Parce que, sur le plan moral, leur esprit est plus étroit que jamais. " Les Bobos sauvent les vieux théâtres, les vieux quartiers, les vieille usines et les vieux entrepôts (…). Ils évoqueront la nécessité de préserver l’identité locale, de lutter contre l’étalement tentaculaire des villes, de combattre la croissance sauvage. Ils mettront en avant la "viabilité" et la "qualité de vie""; mais en regardant de haut ceux qui, comme eux, veulent une belle maison et qui doivent, pour cela, s’exiler en lointaine banlieue.

Les bobos préfèrent donc se retrouver entre eux, ne pas se mélanger à d’autres milieux, d’autres classes économiques. "Encore une fois, ils essaient de préserver l’ordre et la stabilité; et de rétablir le contrôle de la communauté."

Le livre réactualise des idées qui ont toujours fait leur chemin, et ce, depuis des lustres. Il y a toujours quelqu’un, quelque part, pour reprocher aux gens de la classe moyenne de grimper dans l’échelle sociale (et de vouloir manger mieux, prendre soin de soi, s’offrir du luxe, etc.). Si Brooks ne se prête pas au reproche, il semble tout de même éprouver une certaine culpabilité.

C’est qu’il touche, dans cet essai, quelque chose d’important: le virage de sa société vers des valeurs désormais entièrement tournées vers l’argent. Et les Bobos, même s’ils achètent "éthique", ne semblent pas s’en plaindre… Éd. Florent-Massot, 2000, 306 p.

Les Bobos
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Davis Brooks