Claude Hagège : Halte à la mort des langues
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Claude Hagège : Halte à la mort des langues

Ceux qui clament que le français est menacé de disparaître au Québec vont se précipiter sur Halte à la mort des langues, le plus récent ouvrage de Claude Hagège, linguiste renommé, afin d’y voir confirmées leurs craintes.

Ceux qui clament que le français est menacé de disparaître au Québec vont se précipiter sur Halte à la mort des langues, le plus récent ouvrage de Claude Hagège, linguiste renommé, afin d’y voir confirmées leurs craintes. Ils seront déçus. Le livre consacre pourtant plusieurs pages à la situation qui prévaut en Amérique du Nord. Sauf que la liste des idiomes pouvant y être considérés en péril est exclusivement composée… de langues des Premières nations!

Claude Hagège a beau être régulièrement un des ingrédients vedettes du Bouillon de culture à Pivot, ce gars-là est, malgré tout, quelqu’un de sérieux. Il est capable de concocter des études sur la grammaire et la phonologie de La langue MBUM de Nganha, ou sur Le problème linguistique des prépositions et la solution chinoise! – C’est pas une blague! Et ce ne sont pas les seuls titres du genre dans la bibliographie du bonhomme.

Mais Hagège est surtout un vulgarisateur hors pair. Halte à la mort des langues est un ouvrage d’une grande clarté, imprégné d’un profond amour pour les langues. N’empêche que l’argumentation du bouquin est fondée sur de solides données scientifiques.

On parle actuellement à peu près 5 000 langues de par le monde. Mais seulement 600 d’entre elles le sont par plus de 100 000 personnes. On en compte 500 dont la pratique se limite tout au plus à une centaine d’individus! Hagège signale que "90 % des langues de la planète sont parlées par 5 %, environ, de la population mondiale." Et l’on constate chaque année la disparition de 25 de ces idiomes.

Halte à la mort des langues explique en détail les divers processus pouvant conduire à la disparition d’une langue. Il s’agit essentiellement de phénomènes socioculturels et sociopolitiques. Car, contrairement à ce que croient nos puristes, les fautes de langage et les emprunts de vocabulaire à d’autres langues sont loin de constituer, en soi, une menace à la survie d’une langue. Et ce purisme peut même contribuer à l’extinction de la langue qu’il prétend défendre! En préconisant le maintien de structures grammaticales et d’un vocabulaire dépassés, on bloque un processus d’adaptation essentiel au développement d’une langue.

Parmi les diverses situations pouvant conduire à la mort d’une langue, il s’en trouve plusieurs s’apparentant à celles qui conditionnent la pratique de notre langue: bilinguisme d’État, petitesse du nombre de locuteurs, etc. Sauf que Hagège ne présente jamais le français québécois comme un exemple de langue en péril. Pour lui, s’il faut sonner une alarme en Amérique du Nord, c’est afin de protéger les langues amérindiennes. Et l’un des phénomènes les plus intéressants, à ses yeux, c’est la renaissance de la pratique du mohawk!

Hagège démontre par ailleurs que la mort d’une langue n’est pas nécessairement un processus irréversible. Il consacre un long chapitre à l’incroyable aventure de l’hébreu, qu’on a réussi à faire revivre en Israël malgré le fait que plus personne ne parlait couramment cette langue depuis un bon millier d’années!

Halte à la mort des langues: le titre est explicite. Hagège tient à ce que l’humanité parvienne à conserver l’ensemble des langues qu’elle parle. Ce livre est un hommage à la diversité linguistique. De quoi faire réfléchir les partisans du français mur à mur.

Éd. Odile Jacob, 2000, 402 p.

Halte à la mort des langues
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Claude Hagège