Alibi : Le roman et rien d’autre
Les éditions Leméac ont fait un bel effort de renouvellement, comme en témoigne cette nouvelle collection de récits nommée "Ici l’Ailleurs" qui permet aux écrivains de parler de l’envers du décor, de leurs inspirations, de leurs motivations esthétiques ou personnelles. On y trouvera, en plus de celui de Pierre Samson, Alibi, les ouvrages de Christiane Duchesne (Le Premier Ciel), de Naïm Kattan (Les Villes de naissance).
Les éditions Leméac ont fait un bel effort de renouvellement, comme en témoigne cette nouvelle collection de récits nommée "Ici l’Ailleurs" qui permet aux écrivains de parler de l’envers du décor, de leurs inspirations, de leurs motivations esthétiques ou personnelles. On y trouvera, en plus de celui de Pierre Samson, Alibi, les ouvrages de Christiane Duchesne (Le Premier Ciel), de Naïm Kattan (Les Villes de naissance).
Chez Samson, ce récit devient très vite pamphlétaire, ce qui n’est absolument pas négatif, au contraire! Toujours bien de lire quelqu’un qui défend ses idées, ses opinions! Cela même si l’on n’est pas toujours d’accord avec la démonstration. Un exemple? "Au Québec c’en est à se demander si la nouvelle n’est pas devenue, sauf exceptions, le repaire des essoufflés d’avance, lire: ceux incapables de pondre un roman, qui rechignent à confier à la poubelle ce qui le mériterait ou, pire encore, l’occasion pour certains à élever au rang de talent ce qui n’est qu’un certain savoir-faire dans le domaine de l’entourloupette."
Et vlan! Le problème (sans mentionner la formulation bancale de la phrase), c’est que c’est faux. Lorsque des nouvelles sont mauvaises, c’est que les auteurs ne savent pas écrire: est-ce la faute du genre, ou des gens qui le pratiquent? Pourquoi alors ne pas en nommer quelques-uns qui en ont fait de très belles (Jean-Pierre Girard, Sylvie Massicotte, Maurice Henrie, Monique Proulx, Nadine Bismuth, Jean-Pierre Boucher)?
Samson explique son parti pris pour le genre romanesque. "Parce que le roman est en soi un alibi. Il est le lieu de toutes les tricheries. Dans le roman, l’auteur est partout sauf là où vous le lisez." Le romancier revendique une entière liberté, celle aussi d’échapper aux étiquettes. Malheureusement pour lui, c’est la critique, les libraires, les éditeurs, voire le public, qui décident, même si parfois les résultats de ces catégorisations peuvent paraître étranges. L’auteur du Garçon de compagnie aborde aussi le sujet de l’homosexualité, et de la marginalisation sociale qu’elle entraîne. Comme beaucoup d’autres mis de côté, il se réfugiait, plus jeune, dans les livres. "Donc, loin d’atténuer mon calvaire, la lecture l’aggrava. (…) J’aurais voulu me réduire à l’état de squelette, ou mieux, de spectre, dans le but de faire taire ce corps. (…) J’ai appris à me détester, donc, et à approuver l’inévitable mépris de mes proches."
Mais les choses ont changé: Pierre Samson ne manque plus d’assurance, et semble bien capable de régler ses comptes. En tout cas, il les règle avec le milieu littéraire québécois, même si la critique l’accueille assez bien (mais si j’ai bien compris, ce n’est pas nécessairement pour lui un gage de réussite). Il attaque le "fléau ducharmien" qui symbolise, selon lui (et d’autres comme David Homel, qui l’a déjà écrit dans nos pages), l’adolescence attardée des lettres québécoises; il dénonce également la manie des jeux de mots (Voir y passe, mais on entend le sarcasme toutes les semaines, alors bof); l’écriture télévisuelle: "une bonne part de la production littéraire nationale ne se compose que de téléromans en prose", écrit-il. Il dénonce aussi l’ignorance de étudiants en lettres, la poésie urbaine qui l’"exaspère", et le culte du "bobinisme" et du "bariccotisme". Pour Bobin, je lui accorde ma sympathie. Pour Baricco, vraiment, difficile à prendre, surtout qu’il ne s’explique pas assez sur le sujet.
Enfin, Samson en a contre la ghettoïsation de la littérature gai, dans laquelle ses propres livres sont souvent confinés. Sa remarque est pertinente: "Moi qui croyais la mort de l’Auteur constatée et acceptée et m’en réjouissais, voilà qu’on le ressuscite et qu’on le tripote pour savoir par quel bout introduire la sonde." Et qu’on ne lui parle pas de faciliter la vie du lecteur. "Depuis quand la littérature est-elle un havre de paix, un nid douillet, un manège sécuritaire, un lieu de concorde, une éternelle transition sans cahots vers un demain pastel?"
Samson pointe de vrais problèmes, même si parfois l’argumentation tourne un peu court. Le romancier n’a pas peur de la polémique, et on ne peut que saluer son courage, encore trop rare parmi les jeunes écrivains. Éd. Leméac, 2001, 104 p.