La Musique d’une vie : Andreï Makine,
Andreï Makine n’écrit pas pour rien. Comme il l’explique dans une entrevue accordée au magazine Lire de ce mois-ci, son oeuvre, dont il nous donne aujourd’hui le septième titre, existe à dessein de "transfigurer le monde".
Andreï Makine n’écrit pas pour rien. Comme il l’explique dans une entrevue accordée au magazine Lire de ce mois-ci, son oeuvre, dont il nous donne aujourd’hui le septième titre, existe à dessein de "transfigurer le monde". Et ce n’est pas là parole de poète à l’ambition déçue et par trop avinée. Makine écrit d’un espace que le commun Occidental ne connaît pas. Né en Sibérie, à la fin des années 50, il a vécu dans un système qui condamnait les libertés individuelles. Dès lors, c’est pour elles qu’il écrit; en abhorrant la fantaisie mais pas la poésie, en ignorant la fresque pour s’attarder aux détails. Makine écrit pour que dans un océan d’âmes, qu’on appelle le peuple russe, émerge, immensément touchant, l’individu.
Ainsi en va-t-il du personnage central de ce court roman intimiste fraîchement sorti des presses, La Musique d’une vie.
Alexeï Berg n’est d’abord rien d’autre qu’un Russe parmi une centaine d’autres à être immobilisés par une nuit glaciale dans une gare de Sibérie. Un vieux Russe qui courbe l’échine, triste et soumis.
Le narrateur l’observe d’abord comme il observe les autres: prostitués, soldats, pauvres gens réunis là, et pour lesquels il éprouve un mélange d’amitié et de mépris: "Si soudain le haut-parleur annonçait d’une voix d’acier le début d’une guerre, toute cette masse s’ébranlerait, prête à vivre cette guerre comme allant de soi, prête à souffrir, à se sacrifier, avec une acceptation toute naturelle de la faim, de la mort ou de la vie dans la boue de cette gare!"
Mais lorsque les deux hommes se retrouvent dans le même compartiment-wagon, en route vers Moscou, Berg prend forme.
L’histoire nous transporte au début des années 30, alors que Staline a entrepris de purger le pays de tous ses "ennemis". En petites couches superposées de douceurs et d’horreurs, Makine tracera peu à peu l’itinéraire de ce Berg. Jeune homme traqué, forcé au mensonge et au trafic d’identité, il survivra pourtant.
Et quand bien même n’existerait-il que dans l’imagination du romancier, le personnage témoigne d’une incontestable réalité. C’est pour ça, et pour l’élégance de son écriture, qu’il faut lire Makine. Éd. du Seuil, 2001, 128 p.