Diane Lamoureux : Femmes de choc
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Diane Lamoureux : Femmes de choc

Quels sont les rapports entre les femmes et la politique au Québec? DIANE LAMOUREUX réfléchit sur ce sujet depuis plusieurs années. Nous l’avons interrogée à l’occasion de la sortie de son essai, L’Amère Patrie, qui vient tout juste d’arriver en librairie.

Diane Lamoureux

est prof au Département de sciences politiques de l’Université Laval, et auteure de plusieurs ouvrages sur les femmes et les notions de citoyenneté (Citoyennes? Femmes, droit de vote et démocratie, 1989) et d’identité (Malaises identitaires, 1999). Dans L’Amère Patrie, Lamoureux analyse les rapports entre le nationalisme et le féminisme ou, disons, plus généralement, les femmes. Si vous n’en voyez pas, dites-vous que si l’État providence n’avait jamais existé, il n’y aurait par exemple ni garderies, ni politiques sociales permettant aux femmes de s’épanouir autrement que dans la maternité.

Mais aujourd’hui, comme le monde entier, l’État québécois, mené par un parti soi-disant progressiste, a pris un virage néolibéral. "Chez nous, ce qui comptait avant tout, c’était la construction de l’État providence, explique Diane Lamoureux, jointe à Paris où elle séjourne actuellement. La priorité, c’était de se donner une bourgeoisie québécoise; et cela a porté fruit: vous avez les Bombardier, SNC Lavalin et tant d’autres qui en témoignent. Mais maintenant que cette tâche est accomplie, l’État providence est moins important. Or, pour les femmes, cela veut dire moins de politiques sociales et de leviers pour exercer leur liberté."

Lamoureux, comme plusieurs féministes, n’est pas dupe. Si plusieurs d’entre elles ont été portées au pouvoir depuis 1995, c’était, comme le laissent entendre plusieurs commentatrices (voir autres textes en page xx), pour redonner une image à la politique. "Personnellement, dit Diane Lamoureux, je ne trouve pas que les femmes aient été si nombreuses que cela depuis 1995. Bien sûr, c’est mieux qu’avant, mais elles ont tout de même hérité de dossiers extrêmement lourds. Prenez Pauline Marois: elle a été placée à la Santé alors que le secteur était en situation de crise aiguë, avec un personnel (médecins, infirmières, employés de soutien) excédé, épuisé et en colère. De plus, je pense aussi que les femmes ont été le dernier recours des politiciens pour recruter du personnel: elles sont apparues comme un groupe de choix, comme une certaine relève pour le milieu politique."

Contre le féminisme mou
Malgré l’entrée des femmes en politique, celle-ci se pratique néanmoins en accord avec un discours féministe que Lamoureux qualifie de traditionnel, c’est-à-dire, conservateur. "Cela veut dire par exemple que le sujet de la conciliation travail-famille sera traité sur le mode familial traditionnel. Ce qui est compréhensible, puisque cela concerne la majorité. Mais le monde change, et les politiques restent aussi figées, aussi traditionalistes. De plus, on présente toujours ce dossier comme étant féminin. Pour moi, cela concerne autant les hommes que le transport concerne les femmes. Pourquoi est-ce que ce n’est pas encore le cas alors?"

Entre autres, parce que, comme l’indique Lamoureux, les féministes sont trop passives. "Je pense que l’accent a été mis sur le plus petit commun dénominateur, en ce qui concerne le mouvement des femmes. C’est-à-dire que l’on choisissait des revendications qui ralliaient toutes les féministes, comme la question des politiques familiales, de l’enfance, etc. Ce qui, encore une fois, est légitime, car on a besoin de la conjonction des efforts pour exercer une influence politique et mobiliser l’opinion. Mais, selon moi, on a complètement perdu de vue la dimension créatrice du féminisme."

Car, pour Lamoureux, c’est l’essence du féminisme que d’innover, et de susciter de nouvelles réflexions. "Parfois, on pense que parce que les femmes votent et travaillent comme les hommes, tout a été balisé, et que les choses sont acquises, qu’il ne reste plus qu’à être prudentes. Mais je crois qu’on fait erreur: le féminisme doit innover, inventer, trouver de nouveaux terrains de lutte, politiser des thèmes féminins."

Comme on l’a fait par exemple avec l’apparition, dans les années 80, des notions tels le sexisme, le harcèlement sexuel, qui sont des manières de voir les problèmes sous un angle singulier, celui des femmes. "Je crois que nous avons perdu cette idée de dérangement qui devrait caractériser le féminisme et que les Anglo-Saxons ont encore; entre autres, quand je pense aux réflexions sur l’identité sexuelle, et tout ce qu’apporte le mouvement queer. "

Si Lamoureux trouve nécessaire de proposer de nouvelles stratégies contre la violence sexuelle, par exemple, il faut aussi faire avancer la réflexion féministe sur le plan intellectuel. Et, comme elle le dit joliment: "renouer avec l’insolence en politique".


L’Amère patrie
Féminisme et nationalisme dans le Québec contemporain
Les deux mamelles du destin: de la "mère-Église au père-État", c’est le chemin qu’aura pris la société québécoise, et particulièrement les femmes, pour entrer dans la modernité. Cet essai, résolument politique, analyse en trois parties le projet souverainiste, les liens entre le nationalisme et le féminisme au Québec. Pour ce faire, la politologue définit d’abord ce qu’elle entend par les notions de souveraineté, de citoyenneté, de nationalisme; et puise à des sources telles que Hobbes, Hegel, tout en analysant l’actualité politique québécoise. Après avoir posé ses bases théoriques, l’auteure expose les enjeux pour les femmes: qu’avons-nous à gagner ou à perdre avec le projet nationaliste? Comment intègre-t-il les femmes et particulièrement le féminisme à ses structures? La dernière partie est bien sûr la pus intéressante; mais ceux et celles qui réfléchissent sur les questions d’identité saisiront mieux l’ensemble de cet essai fort pertinent.

Éd. du remue-ménage, 2001, 181 p.

L'Amère-Patrie
L’Amère-Patrie
Diane Lamoureux