Vilma Fuentes : Le roi se meurt
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Vilma Fuentes : Le roi se meurt

Ce n’est pas l’un des moindres mérites de Bouchard que de faire découvrir aux Québécois la voix riche et poétique de Fuentes, comme le démontre sa novella. Vilma Fuentes y raconte la vie et la mort d’un truand, plutôt Robin des Bois qu’autre  chose.

Les Allusifs, nouvelle maison d’édition fondée par Brigitte Bouchard, autrefois à La courte échelle, puis à Libre Expression, publie des romans "miniatures". Trois autres titres sont parus, en plus de King Lopitos: Tête de pioche, d’André Marois (voir la critique ci-dessous), Prague, hier et toujours, de Tercia Werbowski et L’Autre, de Pan Bouyoucas. Ce n’est pas l’un des moindres mérites de Bouchard que de faire découvrir aux Québécois la voix riche et poétique de Fuentes, comme le démontre sa novella.

Vilma Fuentes y raconte la vie et la mort d’un truand, plutôt Robin des Bois qu’autre chose. Fuentes a signé plusieurs récits, nouvelles et romans, dont La Castaneda, en 1988, qui l’a fait connaître du grand public et où elle évoque le fameux Mai 68 mexicain. "Chez nous aussi il y a eu une révolution!" explique Fuentes, de passage à Montréal la semaine dernière. Dans King Lopitos, l’auteure, aujourd’hui installée à Paris, évoque une figure intrigante de sa jeunesse, avant l’explosion de 68. "J’étais à Mexico, et j’avais 19 ans, je venais d’avoir ma fille. Le gardien de la maternelle, en face de chez moi, me racontait l’histoire de Rey Lopitos. Chaque fois, il ajoutait des détails, des anecdotes, et au bout d’un an, j’ai tout connu de ce personnage."

Par la suite, Fuentes a publié une courte nouvelle portant sur Lopitos, texte que Jorge Luis Borges a lu, "lui qui n’aimait pas les romans", précise Fuentes. "Nous avons discuté du problème du condamné à mort, se souvient l’écrivaine. Nous avons blagué là-dessus, il me disait que le condamné à mort était le seul à connaître la date de sa mort, et que cela changeait toute votre perspective… Il m’a encouragée à écrire cette histoire. Alors vous voyez, cela fait un bout de temps!"

King Lopitos, s’il rappelle l’actuel sous-commandant Marcos (chef des zapatistes), était d’abord un anarchiste. "Il était contre le pouvoir. L’histoire que je raconte est arrivée dans les années 50; c’était le roi de la pègre, et le gouvernement préférait cela à la guérilla. C’était plus facile à contrôler."

Le récit de Fuentes, poétique et succinct, trace le portrait d’un jeune homme qui grandit dans la misère, l’exploitation, la corruption, et qui, un jour, en a assez. Dans le vieil Acapulco des années 50, Lopitos subit le harcèlement des autorités, et promet de se venger. "Lopitos n’était pas encore méchant. Sa rancune, profonde et floue, ne savait pas où trouver sa vengeance. Même s’il n’y a pas de baume pour la rancune, il aurait pu travailler dans la construction et abandonner son étal de poissons, suivre le bon chemin."

L’homme refuse la misère et subit son destin tragique, que l’on connaît dès les premières pages. Si Vilma Fuentes ne met pas de gants pour parler de la mort et de la souffrance, ce bref roman demeure pudique, respectueux du peuple mexicain auquel elle appartient toujours, elle qui signe des chroniques littéraires dans le quotidien La Jornada. "Depuis que je suis en France (1975), je retourne souvent au Mexique, et, de toute façon, j’écris toujours pour les journaux. Être à Paris me donne une recul intéressant. Cela permet d’observer les événements de loin, et une décantation qui m’aide à écrire."

King Lopitos, de Vilma Fuentes
Éd. Les Allusifs, 2001, 96 p.


Tête de pioche
d’André Marois

Par Tristan Malavoy-Racine

Le crime ne paie pas, ou si peu. Les personnages de Tête de pioche, des gredins condamnés aux travaux forcés, l’apprennent avant même d’avoir atteint l’âge adulte.

Dans ce quasi-huis clos, dont André Marois décrit le climat malsain sans jamais fournir d’indications géographiques précises, les jeunes forçats ont les nerfs à vif, exténués qu’ils sont par des journées entières à bêcher sous un soleil torride. Quand la tension devient insoutenable, à coup sûr quelqu’un se prend une pelle ou une pioche en pleine tête, ce qui exaspère le directeur du camp, dit le colonel, dont on réalise tôt qu’il est au moins aussi timbré que ses prisonniers.

Ces criminels en herbe, "tous mineurs avec des circonstances atténuantes: milieu pourri, famille merdique, pauvreté totale, chômage chronique", sont partagés entre désespoir, idées de vengeance et projets de fuite. Des laissés-pour-compte dont les protagonistes seront Robert, un garçon astucieux, et Diego, à qui le premier promet une substantielle récompense en échange de sa loyauté. Mais, bien entendu, rien ne se déroulera tout à fait comme prévu.

Si la construction littéraire, qui n’est pas sans rappeler l’univers kafkaïen, est diablement efficace – on ne saurait jamais dire qui sera la prochaine victime de la folie ambiante -, la narration laisse parfois perplexe. En outre, plusieurs personnages importants demeurent mal définis et l’on ne s’habitue guère à ces dialogues mêlant maladroitement expressions franchouillardes et locutions bien québécoises.

Dommage qu’une charpente aussi solide manque à ce point de finition.

Éd. Les Allusifs, 2001, 101 p. (T. Malavoy-Racine)

King Lopitos
King Lopitos
Vilma Fuentes