Déogratias : Jean-Philippe Stassen
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Déogratias : Jean-Philippe Stassen

En 1994, près d’un million de Tutsis sont massacrés au Rwanda, victimes de la haine raciale d’extrémistes hutus. Après un séjour de six mois dans ce pays, en 1997, le Français Jean-Philippe Stassen décide d’aborder le drame dans une bande dessinée, sans nul doute la plus difficile de sa carrière.

En 1994, près d’un million de Tutsis sont massacrés au Rwanda, victimes de la haine raciale d’extrémistes hutus. Après un séjour de six mois dans ce pays, en 1997, le Français Jean-Philippe Stassen décide d’aborder le drame dans une bande dessinée, sans nul doute la plus difficile de sa carrière. L’album intitulé Déogratias, du prénom de son héros, est une oeuvre forte, dictée par la colère et l’indignation, dans laquelle l’indicible et l’inqualifiable sont vus à travers des personnages fictifs, des enfants pour la plupart.

Déogratias est un garçon tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Hutu, il est amoureux d’Apollinaire, fille de la prostituée Vedette, une Tutsi. Elle le rejette et il prendra sa soeur Bénigne, toujours vierge, comme maîtresse. Leur initiation commune à la sexualité a lieu le jour même de l’assassinat du président Habyarimana, événement qu’attendaient les Hutus pour déclencher leur génocide soigneusement préparé.

Dès lors, tout bascule pour Déogratias. Stassen illustre le chemin que s’est tracé la haine dans l’esprit de son héros, encouragé par ses "frères" à la violence. Par lâcheté, par respect pour son clan ethnique, il exterminera lui aussi des Tutsis. Devenu fou une fois la tuerie terminée, s’identifiant aux chiens qui ont dévoré les cadavres de celles qui furent ses amies, il entreprend d’empoisonner ses aînés responsables de son malheur. L’album débute d’ailleurs par la narration de ces derniers événements, en alternance avec le récit rétrospectif de la vie tranquille de Déogratias et des autres enfants de son village avant le génocide, créant un contraste saisissant.

Le dessin expressionniste de Jean-Philippe Stassen s’accorde avec la crudité du message, les larges traits noirs marquant tour à tour, sur les visages des protagonistes, la haine et la cruauté, l’innocence et la peur. Les couleurs de l’auteur rendent hommage à l’Afrique, à ses paysages, à ses scènes de la vie quotidienne. Un livre superbe, peignant une tragédie injustifiable.

Éd. Dupuis, coll. "Aire libre", 2000, 80 p.