Louise Dupré : Raison et sentiments
LOUISE DUPRÉ bâtit une oeuvre personnelle toute en douceur, où elle dévoile au grand jour les petites et les grandes passions. Dans La Voie lactée, l’écrivaine raconte la peur de l’engagement amoureux, et une certaine crise de la quarantaine. Des thèmes universels.
Lorsque j’ai rencontré Louise Dupré, en ce beau lundi plein de soleil, elle arrivait de Chicoutimi; l’écrivaine y a lu un texte sur le thème du jardin secret, lors d’un événement organisé par l’Association des écrivains de la Sagamie.
L’héroïne de La Voie lactée, son nouveau roman, ne sait plus, elle, ce qu’est un jardin secret. Son intimité est un champ de bataille, et ses rêves se sont envolés. En fait, elle se demande surtout, après avoir vu cette femme mourir en se jetant d’un balcon, ce qu’elle est devenue… Qui est-elle au juste? Quelle vie veut-elle mener? Voilà quelques-unes des questions qui la taraudent, au tournant de sa quarantaine. "Alors que dans La Memoria (1996), mon héroïne était une femme de la constance et de la fidélité, raconte Louise Dupré, Anne, elle, est toute en discontinuité: elle est en colère. Après avoir tant travaillé pour construire sa carrière, et réussir, elle se demande si ce qu’elle fait est vraiment voulu, si elle est heureuse."
Louise Dupré écrit des romans éminemment contemporains; et qui, par les petites choses de la vie, tissent la grande toile où s’inscrivent les étapes cruciales de l’existence de chacun: l’enfance, l’amour, la mort, les ruptures, les transformations.
C’est un beau roman…
Dans La Voie lactée, Anne, architecte vivant à Montréal, tombe amoureuse d’Alessandro, qui, lui, habite en Italie. Il ne s’agit pas d’une romance mielleuse ni d’un amour de vacances; mais d’une réelle rencontre qui bouleverse la vie de l’héroïne. Elle qui, jusque-là, contrôlait tout de sa vie, se retrouve devant "un mur", comme le résume Louise Dupré. "Elle a choisi un métier, l’architecture, qui est tout en angles, où tout est calculé, compté, prévu, raisonné. Et devant l’amour qui s’offre là, elle est désorientée."
Anne, effectivement, bascule. "Comme un halètement, une suffocation, un étouffement qui peu à peu se calme, et l’air de nouveau se soulève dans la poitrine par vagues longues, profondes, on a de nouveau l’impression qu’on survivra."
Louise Dupré n’hésite pas à le dire: elle écrit des romans d’amour. "Je n’ai aucun problème avec ça, avoue-t-elle calmement. Quand on dit "roman d’amour", l’expression est connotée, mais on n’est pas obligé de jouer ce jeu de l’image; moi je trouve important de parler d’amour, d’autant plus que cela rejoint tout le monde. De plus, je considère La Voie lactée comme un roman de "l’intériorité". Et, bien sûr, l’intériorité est un thème qui fait peur à bien du monde."
Parce qu’on y aborde le sentiment, qu’on y dévoile l’intimité. "L’intimité, c’est le dénuement. Et cela va contre l’image sociale que nous voulons donner de nous-mêmes. C’est faire état de sa vulnérabilité, alors que l’on fait tout pour se protéger. Mais la littérature, c’est justement l’expression de ces choses sur la place publique. C’est un choix de montrer cela, d’exposer le dévoilement." Ce n’est donc plus du domaine de l’intimité.
Longtemps associés au féminin (au monde et à la culture du féminin), les romans sentimentaux ont toujours été dévalorisés. "À moins qu’ils ne soient monumentaux et signés par de grands noms. Mais, en général, on ne prend au sérieux que les romans où l’on traite d’histoire, de violence, d’urbanité, de conflits; or, le reste est aussi important."
La voix humaine
Louise Dupré, qui enseigne la création littéraire et aussi la littérature au féminin (à l’UQAM, depuis 13 ans), fait une expérience très personnelle de l’écriture. "Je suis tombée, un jour, sur un texte de France Théoret, Le Sang, inclus dans Une voix pour Odile paru en 1978, dans lequel une femme attend toute une nuit pour savoir si elle aura ses règles ou non. Si l’on pense que ce genre de sujet est exceptionnel, on se trompe; toutes les femmes, ou presque, connaissent ce sentiment. Pourquoi ne pas écrire sur ces choses apparemment intimes, mais tellement universelles?"
Mais si les livres de Louise Dupré racontent des vies de femmes, ils ne sont ni maniérés ni réducteurs. La voix du personnage est ample, habite le récit sans nombrilisme, et résonne dans tout le roman. "J’attends d’entendre cette voix, celle de mon héroïne – c’est une image, bien sûr! Mais je fais plusieurs débuts quand j’écris un livre; et quand je perçois le rythme du personnage, sa manière de parler, son phrasé, je sais que ça y est." Nul besoin, pour Dupré, de donner des détails. "C’est par l’écriture que tout doit être perceptible, confie l’auteure. Tout doit passer par cette espèce d’oralité, comme à la radio: c’est la voix qui tient lieu de corps, c’est à travers ses inflexions, ses couleurs, ses mots, que l’on saisit le personnage. Et tout cela est porté par le rythme. Je n’ai pas besoin de décrire les lieux, les visages, la couleur des cheveux. Je veux que l’essentiel soit perçu par le lecteur ou la lectrice, et qu’ils créent eux-mêmes leurs propres personnages."
Ainsi, à travers cet extrait, la nervosité et l’impatience d’Anne sont-elles bien palpables: "J’ai proposé de réserver dès maintenant pour la prochaine production. Maman n’a pas protesté. Alors, j’ai attrapé le calendrier et j’ai composé le numéro du théâtre. Personne, bien sûr. J’ai laissé un message, c’était fait, la journée commençait la tête tournée vers l’avenir, j’avais réussi à tirer maman du bon côté de la vie."
Entraînée au mouvement de l’écriture par la pratique de la poésie, Louise Dupré aime aussi la défendre. Elle qui a remporté en 1993 le Grand Prix du Festival international de poésie de Trois-Rivières pour Noir déjà , croit que la poésie est là pour durer. "On pense que les gens ne lisent pas de poésie, mais c’est faux; elle aura toujours des lecteurs." Avec humour, Louise Dupré confie qu’elle n’a jamais trouvé les gens aussi intéressants que lorsqu’ils sont en peine d’amour. "C’est souvent à ce moment-là qu’ils prennent des risques, dit-elle. Ils changent de coiffure, ils vont au concert alors qu’ils n’y avaient jamais mis les pieds. Et, habituellement, ils cherchent dans les livres du réconfort, ou des réponses à leurs questions. La poésie, souvent, joue ce rôle de révélateur, et donne un sens à leur vie."
La Voie lactée
de Louise Dupré
Éd. XYZ, 2001, 210 p.