Alistair MacLeod : Homme du nouveau monde
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Alistair MacLeod : Homme du nouveau monde

Méconnu au Québec, ALISTAIR MACLEOD est pourtant traduit en plusieurs langues et lu dans de nombreux pays. L’auteur canadien nous confie ce qui l’a inspiré pour écrire ce roman des origines: La Perte et le Fracas.

On pourrait dire d’Alistair MacLeod que sa réputation d’écrivain est inversement proportionnelle à l’abondance de son oeuvre. En 25 ans, le réputé auteur canadien a publié deux recueils de nouvelles très célébrés. Quatorze histoires en tout et pour tout. Jusqu’à ce roman, No Great Mischief, qui paraît chez Boréal – et chez l’Olivier, en France – sous le titre La Perte et le Fracas, et qui se retrouve aujourd’hui l’un des six finalistes en lice pour un riche prix irlandais: l’IMPAC Dublin Literary Award.

"Vers la fin, mes nouvelles tendaient à devenir de plus en plus longues. Alors, je suppose que j’avais besoin de quelque chose de plus large pour véhiculer mes idées, d’un autobus plutôt que d’une Volkswagen!" s’esclaffe cet homme rieur et sans affectation aucune, joint par téléphone à son bureau de l’Université de Windsor où il se rend encore tous les jours, même si, théoriquement, l’enseignant de littérature du XIXe siècle est à la retraite… Une occupation qui explique, du moins en partie, qu’Alistair MacLeod ait mis une douzaine d’années pour ciseler, par vagues, La Perte et le Fracas. Avec une écriture sobre mais évocatrice, d¹une simplicité qui touche juste, ce beau roman déploie une attachante chronique familiale, menée par d¹émouvants personnages qui cherchent leurs repères à travers plusieurs couches du passé.

"J’étais intéressé par les idées de loyauté et de convictions; par exemple, comment des personnes peuvent être profondément concernées par certaines choses; alors que d’autres ne se soucient peut-être de rien, à part elles-mêmes! explique l’écrivain. Parfois, les convictions d’une personne peuvent être vues négativement par d’autres. Comme le nationalisme, par exemple. Et il arrive que vous adoptiez les croyances des autres – que vous le vouliez ou non – et ce, simplement parce que vous êtes qui vous êtes."

Le passé recomposé
La Perte et le Fracas raconte donc l’histoire, collective et particulière, du clan MacDonald, qui a quitté l’Écosse en 1779 pour venir s’établir au Cap-Breton. Un clan attaché à ses racines et à ses traditions, qui croit à la famille, à la force des liens du sang, à la solidarité qu’on doit aux siens. Pour le meilleur ou pour le pire.

Rien n’est aussi simple, selon Alistair MacLeod, qui voulait explorer les deux faces de la loyauté et de l’appartenance. Une scène-clé du roman, opposant dans un camp de mineurs le clan MacDonald à un groupe canadien-français (une bataille qui aura des répercussions néfastes pour le fils aîné), montre que la tendance à se tenir les coudes entre gens semblables peut parfois avoir des effets pervers… Un paradoxe, parce que, en même temps, son roman célèbre la perpétuation de la culture d’origine, des racines, à travers notamment l’insertion de chants traditionnels gaéliques.

Un passé toujours très présent pour le narrateur, devenu un riche orthodontiste (un pléonasme, sûrement!) ontarien. "Je voulais montrer qu’on peut être un homme très moderne, et pourtant transporter tout un passé en soi, même si on n’en fait pas partie, physiquement. Mais on peut en faire partie, à l’intérieur. Quand je vais en Europe, je vois que certains sont un peu inquiets devant la mondialisation, le marché commun. En Italie, quelqu’un m’a dit que dans 70 ans, il n’y aurait plus d’Italiens. Seulement des Européens. Je ne pense pas que ça va arriver. Mais c’est une chose à laquelle réfléchir, si vous avez un riche passé."

Racine de vie
Alistair MacLeod se réjouit que son roman, traduit en une douzaine de langues – juste retour des choses, on parle aussi de le transposer en gaélique -, ait reçu des échos favorables tant en Angleterre qu’en Espagne, en Scandinavie qu’au Japon, dans des pays "différents du lieu dépeint dans ses pages". "C’est agréable de pouvoir écrire à propos de son propre coin et d’être malgré tout apprécié ailleurs."

Il faut croire que cette mélodie canado-écossaise a su faire vibrer une corde universelle… "Je pense que d’où qu’ils soient, les êtres humains recherchent l’amour, et voudraient croire en une sorte de loyauté, de vérité, même si ce peut être difficile à atteindre. Je pense que ce sont là des idées universelles. Je reçois des lettres d’un peu partout dans le monde, de gens très émus par le livre. Visiblement, ça fonctionne (rires)."

Le roman est pourtant très ancré dans la culture singulière du Cap-Breton, "le pays des arbres", fruit notamment de son isolement. "Il a été colonisé dans les années 1700 par des gens des Hautes-Terres (Highlands) de l’Écosse. Il n’y avait là à peu près personne d’autre. Sinon, à une dizaine de milles de l’endroit où j’ai grandi, une large colonie d’Acadiens. Les premiers habitants, les Micmacs, n’ont jamais été nombreux. Je pense que quand vous êtes dans un lieu comme ça durant une longue période de temps, avec un certain genre de climat, avec une religion, une langue et une histoire à vous, ça vous rend un peu différent. Ça intensifie ce que vous êtes, et vous êtes différent à cause de ça. Un exemple évident de ça, c’est la population du Québec…"

Notre passé, notre identité nationale nous façonnent pour le reste de notre vie, croit Alistair MacLeod. "Et vous pouvez bien devenir orthodontiste, vous serez toujours cette autre chose aussi, à cause de votre passé. Vous pouvez y échapper physiquement, déménager ailleurs; mais à l’intérieur, il y aura toujours des souvenirs, des voix qui vont vous parler, peu importe où vous irez, je pense."

Lui-même modelé par le Cap-Breton, l’écrivain né en 1936 est attaché à sa société distincte, espace où la majorité de son oeuvre prend racine et s’épanouit. "Je crois que la relation entre un écrivain et son sujet, c’est un peu comme être en amour, compare le sympathique MacLeod. Vous voulez passer tout votre temps avec l’objet de votre amour. Et si quelqu’un me disait: "Il y a un tas d’autres filles à Los Angeles", je répondrais: c’est vrai. Mais je préfère rester avec l’aimée…"

La Perte et le Fracas
d’Alistair MacLeod
Traduit par Lori Saint-Martin et Paul Gagné,
Éd. du Boréal, 2001, 264 p.

La Perte et le Fracas
La Perte et le Fracas
Alistair MacLeod