La Rage au coeur : Force majeure
INGRID BETANCOURT incarne le renouveau politique en Colombie. Frondeuse, déterminée, elle dénonce la corruption, et défie la classe politique d’adopter la transparence pour sauver son pays. La Rage au coeur, déjà succès de librairie en France, raconte son parcours politique et personnel.
Ingrid Betancourt a 40 ans. Elle est colombienne, et dirige son propre parti: Oxygène, fondé il y a à peine trois ans. Son programme: se débarrasser de la mafia et de la corruption, afin que les politiciens ne craignent plus de prendre des décisions qui serviront les Colombiens, au lieu de les affamer, et de les réduire à l’indigence.
Dans un pays en guerre civile depuis 37 ans, conflit qui a fait 130 000 morts, le programme d’Ingrid Betancourt est de la folie: c’est en tout cas ce que pensaient les politiciens à qui s’est heurtée la jeune femme, eux qui se moquaient bien de sa naïveté. Mais ils se sont trompés, puisque depuis 10 ans, Betancourt a prouvé à la face du monde que les Colombiens étaient prêts à sortir de leur misère, et voulaient redevenir le peuple fier et instruit qu’ils ont déjà été.
Ecrire l’histoire
Cette politicienne est fille d’un père ambassadeur et ancien ministre de l’Éducation en Colombie, et d’une ex-miss Beauté, devenue porte-parole des enfants de Bogota.
Dans les années 70, les parents Betancourt forment un couple engagé, le coeur et la raison à gauche, côtoyant, dans le chic XVIe arrondissement, à Paris (la petite Ingrid y fera ses études et, plus tard, Sciences po), les grands noms de la culture latino-américaine, tels que Botero, Neruda, García Márquez. "Tous ces gens intelligents semblent terriblement soucieux pour l’avenir de la Colombie. Je reste un soir à les écouter et je suis si bouleversée par ce que j’entends que, une fois expédiée au lit, je me relève et vais me cacher sous le piano à queue, dans un coin du salon, pour suivre la conversation. (…) Ils disent que l’élection d’un certain Turbay (..) serait une "catastrophe" pour le pays, que telle ou telle décision plongerait à coup sûr la Colombie dans un "naufrage sans précédent", (…) Je retournerai souvent sous le piano et, parfois, je sortirai de là les tempes en feu, l’estomac noué, tout près de sangloter tant je trouve dur, véritablement affolant, ce qui attend notre pays."
Après son mariage à un jeune diplomate français, avec qui elle a deux enfants (Mélanie et Lorenzo), elle se rend aux îles Seychelles. Que fait-elle si loin des siens? Ne doit-elle pas rentrer en Colombie et travailler sur le terrain? C’est ce qu’elle choisit, après avoir divorcé. Là commence une nouvelle vie. Engagée au ministère des Finances, la jeune femme conçoit un projet de développement environnemental pour la Côte-Ouest colombienne, programme que prendra à son compte le ministre qui l’emploie, évidemment… Elle connaîtra bien d’autres occasions où ses idées et son travail (plus tard sa crédibilité) seront récupérés par les politiciens au pouvoir voulant bénéficier de cette image dynamique et droite que projette la jeune Betancourt.
Pour faire parler d’elle – rappelons son refus d’être soutenue par les groupes criminalisés (ce à quoi est habituée la classe politique) -, elle use de stratégie… et distribue aux coins des rues des préservatifs: la corruption est notre sida, on peut s’en protéger, clame-t-elle. Ses parents sont outrés, les politiciens la ridiculisent. Mais, le lendemain, la presse n’en a que pour cette femme rafraîchissante, pleine d’ardeur, qui n’a pas peur d’appeler un chat un chat.
En 1998, Betancourt a été élue sénatrice (avec le plus grand nombre de voix), elle en qui personne ne croyait; personne, sauf le peuple colombien, qu’elle fréquente, usant de tous les moyens pour lui faire connaître ses droits, son pouvoir d’électeur. Si l’on veut acheter votre vote, ainsi que cela se passe dans tout le pays, refusez. Dites non, implore-t-elle ses compatriotes. Et les Colombiens ont confiance en elle, puisqu’ils l’ont élue.
Ingrid Betancourt a échappé deux fois à des attentats, a dû envoyer ses enfants vivre en Nouvelle-Zélande, où réside leur père, pour les protéger. Elle dit avoir écrit ce livre en français, sa seconde langue (elle a déjà publié un ouvrage contenant les même faits, les mêmes accusations, en Colombie), pour que le monde sache ce qui se passe dans son pays. Et elle illustre très bien l’adage, l’appliquant aux politiciens: les paroles s’envolent, les écrits restent. Parmi ces derniers, les noms des gens qu’elle accuse, les documents et les preuves qu’elle détient contre l’ex-président Samper (et contre d’autres), avec qui Betancourt avait pourtant essayé de nouer une alliance.
La semaine dernière, Ernesto Samper (que Betancourt accuse d’avoir financé sa campagne électorale avec l’argent du cartel de Cali) déposait à Paris une plainte contre l’éditeur français, exigeant le retrait immédiat du livre, qui salirait sa réputation. Il est bien trop tard pour y penser…
Le récit autobiographique d’Ingrid Betancourt est une vraie leçon de politique: en prime, il redonne espoir en l’humanité. Peut-on réellement s’en passer?
La Rage au coeur
d’Ingrid Betancourt
Éd. XO, 2001, 249 p.