Livres

Édition en ligne : Écran magique

L’édition électronique existe-t-elle vraiment? Il semblerait que oui, comme le prouvent ces sites créés par Jacques Du  Pasquier.

On savait que l’arrivée d’Internet dans toutes les chaumières serait loin d’améliorer la situation de la littérature. Donnez un écran à quelqu’un qui adooooore écrire, libérez-le des contraintes de l’édition et dites-lui qu’il court la chance d’être lu par 0, 001 % des internautes (ce qui fait malheureusement plus de lecteurs, sans doute, que n’en connaîtra jamais Marie-Claire Blais): et voilà qu’un nouveau "roman" apparaît dans le cyberespace. On ne compte plus le nombre de sites personnels où des écrivailleurs usent de leur inaliénable droit d’expression. Vous vouliez lire les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, et voilà que défile à l’écran la liste d’épicerie du premier Jean-Paul venu.

Démocratique, le Net littéraire: ça oui… Et en manque d’internautes qui prennent la littérature au sérieux. Mais la situation n’est pas désespérée.

Parmi les irréductibles navigateurs, Jacques Du Pasquier est un de ceux qui veillent à séparer le bon grain de l’ivraie. Sa potion magique? Beaucoup de rigueur, de la patience, un goût bien français pour les choses de l’esprit, et un indéniable amour de la littérature.

Du Pasquier, la jeune trentaine, est le maître d’oeuvre de trois sites français voués à la littérature. Le premier, Hache, est un site éditeur mis sur pied en 1996, dans le but de diffuser des textes littéraires de qualité. Le webmestre y oeuvre, comme auteur, mais également comme éditeur, dans le sens le plus traditionnel du mot. Aucun texte ne paraît qui ne soit d’abord sélectionné par lui; puis, suivant des discussions avec l’auteur, soumis aux coupes et modifications s’avérant nécessaires. Les critères sont simples. Comme l’indique Du Pasquier dans le Manifeste du site, "Hache évitera d’illustrer toutes les formes par nous identifiables de la niaiserie poétique, l’écriture blanche (…), les Lamanièredeux (…), la littérature interactive, la religion, les complications graphiques dans les pages web et autres formes du goût d’obscurcir".

Ouvrir la porte
Le pari est assez réussi. Soixante-treize textes sont présentement publiés (qu’on peut aussi se procurer si on le désire en version papier), le fruit du travail de 15 auteurs, dont le sexe change à peine (il n’y a qu’une fille!) mais dont l’âge varie quant à lui de 26 à 52 ans. Parmi eux, le plus prolifique est Bernard Saulnier, un Montréalais qui signe là 20 textes résolument québécois et, l’un n’empêchant pas l’autre, logorrhéiques à souhait. Quant à Du Pasquier, si sa faconde peut laisser penser qu’il ne fraie pas souvent avec la modestie, on doit admettre qu’il a un talent qui fait qu’on lui pardonne bien des arrogances. Ses textes les plus récents, particulièrement Fétiche, L’Éloquence naturelle, et Autoportrait à 31 ans, sont de petits bijoux qui illustrent une volonté de prendre tous les risques mais sans jamais sacrifier la rigueur d’un fil conducteur.

Se décrivant comme "un auteur du XXIe, et non du XXe", Du Pasquier a non seulement choisi le Web comme espace d’édition, il l’a choisi comme lieu de diffusion, en créant, parallèlement à Hache, le site Raphaël Cohen. Voué à l’oeuvre de cet écrivain d’origine juive né en Égypte en 1938, le site réunit des textes à saveur prophétique, et des commentaires portant sur les enseignements judaïques.

Mais c’est avec la création de son petit dernier, appelé La Porte, que Du Pasquier s’affirme plus particulièrement comme un littéraire de la génération Web. En service depuis le début de l’année, La Porte est aux modernes ce qu’était plus couramment le café d’antan: un lieu de découvertes, d’échanges et de discussions. C’est là qu’il faut aller pour trouver, outre les textes qui sont publiés par Hache, toute une liste de textes venus d’autres Web-éditeurs, et sélectionnés, pour leur qualité, par Du Pasquier. Les textes ne sont pas, à proprement parler, publiés sur La Porte: ils y sont annoncés, présentés, et parfois commentés par les lecteurs. Pour y avoir accès, on n’a qu’à suivre les liens et se laisser entraîner vers les autres éditeurs (une cinquantaine à ce jour), qui promettent, eux-mêmes, d’autres belles découvertes.

Si les internautes sont invités à coter les sites et même à produire des critiques, on sent que la communauté d’auteurs et de lecteurs en ligne, toute à sa lune de miel, est bien davantage encline à jouir de ses bons coups plutôt qu’à s’appesantir sur les ratés. C’est qu’il viendra bien assez tôt, le moment où les chroniqueurs littéraires auront à leur tour une niche internautique où vilipender les uns et saluer les autres.

En attendant: rendez-vous, avec les anges, sur La Porte du ciel…

Hache
www.dtext.com/hache/

La Porte – portail de littérature nouvelle
www.dtext.com/porte/

Site Raphaël Cohen
www.dtext.com/raphael-cohen/