Le Mangeur de pierres : Conte pour tous
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Le Mangeur de pierres : Conte pour tous

Si les romans de merveilleux ou de fantasy sont rares au Québec, le conte est à la source de bien des oeuvres de notre littérature. C’est le cas de Gilles Tibo, auteur pour la jeunesse, qui a déjà remporté le Prix du Gouverneur général pour son roman Noémie – Le Secret de madame Lumbago, publié en 1996.

Si les romans de merveilleux ou de fantasy sont rares au Québec, le conte est à la source de bien des oeuvres de notre littérature. C’est le cas de Gilles Tibo, auteur pour la jeunesse, qui a déjà remporté le Prix du Gouverneur général pour son roman Noémie – Le Secret de madame Lumbago, publié en 1996. D’abord illustrateur, Tibo s’est mis à écrire pour les enfants et, avec Le Mangeur de pierres, il signe un premier livre destiné à un public général. Il n’a rien perdu de son sens de l’image, éclatant, ni de son plaisir de conter, si nécessaire à l’écriture pour la jeunesse.

Le Mangeur de pierres raconte l’histoire de Gravelin, qui, dès l’enfance, se met à éprouver une passion pour les pierres. "À treize lunes, Le Petit se déplaçait encore à quatre pattes et se remplissait la bouche de cailloux. Il en accumulait tant et tant qu’il en avait les joues gonflées." D’abord inquiets, ses parents finiront par laisser à lui-même cet enfant anormal, étranger aux habitants de l’île de la Grosse-Main. Tant pis, son père n’en fera pas un pêcheur. Gravelin s’attache à la grand-mère McDuff; mais, celle-ci disparue, personne ne s’intéressera à lui.

Sauf une petite rouquine, qui garde des enfants. "Elle ouvrit les lèvres et, du bout de la langue, repoussa une mèche de cheveux qui dansait sur sa joue. Gravelin leva le nez, gonfla les narines et renifla les odeurs de la rouquine. Des fragrances de ciel d’aurore planaient au-dessus de sa tête. Des senteurs de fruits sauvages voletaient autour de son cou. Le bord de sa robe, encore mouillé, glissait sur la pierre en libérant des effluves de lichens."

La mémoire et la mer
Comme Jean-Baptiste Grenouille, cet attachant personnage du Parfum, best-seller de Patrice Süskind, Gravelin marche à l’odeur. Évoquant la même sauvagerie, le héros provient également d’un univers terrien, sensible aux sensations, perceptions, aux matières et aux sons. Là s’arrête la comparaison avec Grenouille, parallèle qu’ il est toutefois impossible d’éviter.

Mais le récit de Tibo est plus sobre, offre moins de rebondissements. C’est plutôt sur la détresse et la désolation de Gravelin que s’attarde Gilles Tibo. Décrivant sa solitude, sa marginalité, ses fuites, l’auteur trace le portrait insolite d’un garçon abandonné de tous, impossible à dompter, à socialiser. Sa vie est centrée sur la poursuite d’Élisabeth, la seule personne qui prend le temps de l’écouter, et qui l’accepte tel qu’il est. Et même, qui s’en amuse. "Le soir, après le travail, la fille s’amusait à le faire damner. Elle se rendait sur le quai et montait dans une chaloupe. Là, en ouvrant les bras, elle faisait signe au fou de venir le rejoindre. Il avançait d’un pas, hésitait, levait un pied dans le vide, posait le talon sur le bord de la chaloupe, puis, sentant bouger l’embarcation, il reculait en gémissant."

L’histoire qui nous est racontée dans Le Mangeur de pierres n’est pas nouvelle, loin de là: la belle et la bête forment un couple mythique que l’on retrouve depuis longtemps dans un grand nombre de récits. L’originalité est plutôt dans la langue de Tibo et dans le style qu’il déploie. Employant des images saisissantes, l’auteur crée un univers insolite, merveilleux, que l’on retrouve dans de nombreux contes pour enfants, et y apporte une touche bien personnelle. Tibo construit son récit comme une suite de tableaux et de paysages, que l’on contemplerait sans se lasser. Tantôt la maison triste, de laquelle Élisabeth s’enfuira; tantôt ce bord de mer dont les vagues captivent Gravelin, lui qui se réfugie dans une grotte. "La mer se gonfla en milliers de collines qui, poussées par une force invisible, se transformèrent en machines de guerre."

On gardera longtemps en mémoire ces plumes blanches qui annoncent les retrouvailles des deux héros; ou encore l’image de cette veuve qui "vomit des mots plus noirs que des chauves-souris" et qui, folle de douleur, se donnera la mort: "Soudain, un bruit de tonnerre explosa. Une boule de feu jaillit sur l’océan. La silhouette de la mère apparut dans un tourbillon de brasier. Elle montait et descendait au même rythme que les vagues. La tête renversée, les cheveux comme des torches, elle leva lentement les bras en se consumant."

On aurait toutefois aimé, au milieu de ce récit poétique, un propos plus étoffé, un discours (social, métaphysique) plus élaboré qui fasse vraiment sentir qu’on s’adresse, justement, à des adultes. La prochaine fois, peut-être.

Le Mangeur de pierres
de Gilles Tibo
Éd. Québec/Amérique, 2001, 191 p.

Le Mangeur de pierres
Le Mangeur de pierres
Gilles Tibo