Salon international du livre de Québec : Le salon des Amériques
Livres

Salon international du livre de Québec : Le salon des Amériques

Pris dans l’étau du calendrier du Centre des congrès qui l’héberge, le Salon international du livre de Québec se tiendra en pleine semaine sainte à seulement quelques heures du début du Sommet des Amériques. Un mal pour un bien puisque le Sommet contribuera à son financement.

Alors que s’érige, bloc par bloc, le mur qui encerclera hermétiquement les dignitaires du Sommet des Amériques, les têtes dirigeantes du Salon international du livre de Québec s’apprêtent à recevoir une brochette d’écrivains étrangers dans un contexte fort inhabituel. Dans l’optique d’un projet connexe et partiellement financé par le vrai Sommet, l’équipe de Philippe Sauvageau (directeur général) a concocté un Sommet des écrivains des Amériques. Renée Hudon, présidente du Salon, semble tout à fait emballée par l’idée: "C’est un événement tout à fait unique qui ne se produira pas chaque année."

Si certains reprocheront aux organisateurs de n’avoir invité que quelques obscurs auteurs dont le nom ne trouve guère de résonance chez nous, Renée Hudon insiste sur la pertinence de ces invités et sur le mandat d’éclaireur que s’est donné l’événement: "Bien sûr, entre idéal et réalité, il y a une petite nuance. Ils ne sont pas tous connus ici, d’accord. Par ailleurs, je peux vous assurer que ces écrivains sont extrêmement importants dans leur pays. On a cette tendance au vedettariat. Donnons-nous donc la peine d’aller voir, au Chili ou en Guadeloupe, quels sont les écrivains aimés, appréciés, célébrés ou contestés."

Sommet pascal
D’ailleurs, bien que les hautes instances du Sommet des Amériques aient décidé de rayer les Cubains de leur liste, les organisateurs du Sommet des écrivains ont pris l’initiative d’ignorer cette donnée. "Ce n’est pas parce que le Sommet n’a pas invité Cuba qu’on ne doit pas le faire, insiste madame Hudon, j’y tenais beaucoup." À ce sujet, on serait tenté de s’interroger sur l’incidence de la participation du Sommet de Québec sur le contenu des tables rondes au programme du Salon.

Les dirigeants du Salon attestent avoir reçu une contribution en argent du Sommet des Amériques sans toutefois s’être astreints à inviter des auteurs cautionnés par les autorités: "On a bien sûr bénéficié d’une collaboration financière, mais ils ne nous ont pas défendu d’inviter des écrivains, nous étions libres d’inviter qui nous voulions." "On sait que, traditionnellement, ce sont les écrivains qui brassent la cage, empêchent les abus et contestent les dirigeants, ajoute Renée Hudon. Les auteurs que nous avons invités ne sont pas des pions et ne trahiront pas leurs idéaux sous prétexte que nous sommes à trois jours du Sommet."

Sans oublier ses activités habituelles, le Salon international du livre de Québec propose une approche élargie, une démocratisation du savoir qui sera étalé au cours de cet événement consacré au Nouveau Monde. Ainsi, une équipe de traducteurs sera à l’oeuvre tout au long de l’événement. "Il faut que ce soit accessible, explique la présidente du Salon, ce n’est pas parce qu’on n’a pas de doctorat en littérature [ou qu’on ne parle pas espagnol] qu’on n’est pas capable d’apprécier Alberto Manguel [Argentine] ou Sergio Ramirez [Nicaragua]. Des traducteurs, ça coûte cher, mais ça semblait indispensable pour permettre à tout le monde de participer." Visiblement intéressée par le remous que provoque cette association, elle ajoute: " Le Sommet des Amériques, c’est entre eux [les dignitaires] que ça se passera, alors que le Sommet des écrivains, c’est pour tout le monde."

En ce qui concerne les activités qui touchent le Salon en tant que tel et malgré les désagréments potentiels qu’aurait pu provoquer sa tenue en pleine fin de semaine de Pâques, une pléiade d’auteurs d’ici et des vieux pays seront au rendez-vous. "Le même nombre d’auteurs que l’année dernière", ajoute la présidente. Un soulagement pour l’organisation qui craignait de faire les frais de cette position sur le calendrier qui lui était imposée par la tenue d’autres événements, dont le Sommet des Amériques.

Au rendez-vous
Outre l’historien populaire Jacques Lacoursière qui fera office de président d’honneur, six autres invités particuliers seront mis en exergue au cours de la semaine, soit Paul Ohl, Charlotte Gingras, Jean Marc Dalpé, John Ralston Saul, Marie Laberge et Andreï Makine. Chacun d’entre eux présidera une journée de rencontres ou une activité précise. Tête d’affiche particulièrement prisée, Makine sera à Québec afin d’y présenter son tout dernier roman, La Musique d’une vie. "Un grand nom comme Andreï Makine, on n’a pas ça chaque année ", précise Renée Hudon à propos du récipiendaire du Goncourt, du Médicis et du Goncourt des lycéens pour Le Testament français en 1995.

La présidente conclut que, malgré la date de tenue de l’événement, ce ne sont pas les bénévoles qui manqueront et que l’occasion qui se présente aux organisateurs de faire quelque chose de particulier de cette longue fin de semaine sera pleinement exploitée: "Pâques nous a incités à faire du Salon une plus grosse fête." Pour plus d’information et le calendrier complet des activités: www.silq.org

Du 10 au 15 avril
Au Centre des congrès
Voir calendrier Événements


Alberto Manguel
LE LISEUR

Après avoir offert son Histoire de la lecture, son Dictionnaire des lieux imaginaires et rendu hommage aux libraires dans La Bibliothèque de Robinson, ALBERTO MANGUEL propose son histoire des images.

Romancier, essayiste, traducteur, Alberto Manguel est d’abord et avant tout lecteur. Un grand lecteur. Un dévoreur de livres né à Buenos Aires, Canadien d’adoption depuis une quinzaine d’années et qui s’apprête à s’installer en France parce que sa bibliothèque de 50 000 titres demande à respirer davantage.

Mais Manguel n’est pas qu’un lecteur de livres et un lecteur des rapports qu’entretiennent les lecteurs avec l’objet livre, il est aussi un lecteur d’images. "Durant les six ou sept ans où je travaillais à Une histoire de la lecture, j’ai parcouru beaucoup d’images parce qu’il y a de nombreuses images de lecteurs qui permettent de déceler les façons de lire et les attitudes par rapport au livre, raconte-t-il. Je m’étais alors dit que ces images des lecteurs racontent des histoires. Cela m’a mené à une question beaucoup plus vaste qui est de savoir si toute image pouvait se lire et, dans ce cas-là, quel était le langage implicite dans l’image elle-même et quel était notre apport à cette image qui, peut-être, est vide de signification et à laquelle nous amenons une histoire."

C’est cette réflexion qui a donné naissance au Livre d’images, un ouvrage abondamment illustré où Manguel, s’attardant tour à tour à des tableaux, à des sculptures ou à des photographies, propose au lecteur une entrée nouvelle dans le monde des arts visuels, l’invitant à décoder les oeuvres avec la frénésie du passionné, l’érudition du connaisseur et la simplicité du vulgarisateur. "Je n’aurais pas pu écrire dans le langage de la critique courante parce que je ne le comprends pas, explique-t-il. C’est un vocabulaire qui n’a pas été créé pour amener le spectateur à l’oeuvre d’art, mais pour fermer l’oeuvre d’art et empêcher le spectateur courant d’y arriver. C’est une démarche élitiste qui ne m’intéresse pas."

Sans prétendre à l’exhaustivité, Manguel fait l’histoire des oeuvres qui le passionnent, telle La femme qui pleure de Picasso ou les portraits de Tina Modotti, se permettant les détours propres aux essayistes et faisant naître une foule d’hypothèses en chemin, convaincu que "toute histoire est une série d’hypothèses". Il s’intéresse également à l’interprétation, à la construction à laquelle procède le spectateur lorsqu’il décode ou interroge l’oeuvre d’art et n’hésite pas à faire part de ses propres expériences à ce sujet.

En somme, Le Livre d’images, un peu comme les autres ouvrages de Manguel, est à la fois le récit personnel d’une passion peu commune ou même, pourquoi pas, un tome de la propre histoire de Manguel, et une formidable invitation au lecteur afin qu’il développe à son tour sa propre histoire des images: "Je ne voudrais pas écrire l’histoire de la lecture ou l’histoire des images, ce que j’écris c’est une histoire. Et quand c’est "une", c’est la mienne, mais pour que le lecteur la prenne, la transforme et la change, et cite d’autres exemples. Je voudrais que tous mes livres aient des pages blanches pour que le lecteur puisse les remplir avec ses impressions à lui."
(Nicolas Houle)

Le Livres d’images
d’Alberto Manguel
Actes sud/Leméac
2001, 383 pages


JORGE EDWARDS
L’écrivain chilien Jorge Edwards, né à Santiago en 1931, a étudié le droit et la philosophie à l’université de son pays, et plus tard à celle de Princeton aux États-Unis. Son parcours étonnant fut certainement une source d’inspiration intarissable pour son oeuvre littéraire qui comprend contes, essais, romans et nouvelles.

L’écrivain chilien Jorge Edwards, né à Santiago en 1931, a étudié le droit et la philosophie à l’université de son pays, et plus tard à celle de Princeton aux États-Unis. Son parcours étonnant fut certainement une source d’inspiration intarissable pour son oeuvre littéraire qui comprend contes, essais, romans et nouvelles. Si Jorge Edwards fut écrivain, avocat et diplomate, sa brillante carrière fut néanmoins détournée après le coup d’État au Chili du général Augusto Pinochet en septembre 1973. Jorge Edwards fut à cette occasion dépossédé de ses fonctions de diplomate. C’est peut-être à la suite de cet incident, et soutenu par l’amitié de son compatriote, le poète Pablo Neruda, qu’Edwards devint un véritable écrivain engagé. D’abord réfugié à Barcelone, il revint dans son pays en 1978 et participa à la formation d’une commission de défense de la liberté d’expression. Il rejoignit le Comité des élections libres en 1988 et fut, de plus, conseiller culturel à l’ambassade de France au Chili. Jorge Edwards s’est notamment fait connaître avec son livre Persona non grata a Cuba, publié chez Plon à Paris en 1976, qui relate l’expérience de l’auteur dans le Cuba de Fidel Castro. Plus récemment, en 1990, Adios, Poeta… se révélait une réflexion de la maturité. En 1999, Jorge Edwards remportait le prix Cervantès. Jorge Edwards participera à la table ronde intitulée Une Amérique, des Amériques, le vendredi 13 avril 2001 à 10h, au Centre des congrès de Québec, à l’occasion du Salon international du livre de Québec. On y parlera des définitions de la personne, des groupes humains et des organismes des Amériques ainsi que des spécificités culturelles qui les composent.
( Marie-Hélène Therrien)


Vilma Fuentes King Lopitos
LE ROI DES BANDITS

Les Allusifs, nouvelle maison d’édition fondée par BRIGITTE BOUCHARD, publie des romans "miniatures"; King Lopitos de VILMA FUENTES en fait partie. Et ce n’est pas l’un des moindres mérites que de faire découvrir aux Québécois la voix riche et poétique de cette auteure, comme le démontre sa novella, racontant la vie et la mort d’un truand, plutôt Robin des Bois qu’autre chose.

Vilma Fuentes a signé plusieurs récits, nouvelles et romans, dont La Castaneda, en 1988, qui l’a fait connaître du grand public et où elle évoque le fameux Mai 68 mexicain. "Chez nous aussi il y a eu une révolution!" explique Fuentes. Dans King Lopitos, l’auteure, aujourd’hui installée à Paris, évoque une figure intrigante de sa jeunesse, avant l’explosion de 68. "J’étais à Mexico, et j’avais 19 ans, je venais d’avoir ma fille. Le gardien de la maternelle, en face de chez moi, me racontait l’histoire de Rey Lopitos. Chaque fois, il ajoutait des détails, des anecdotes, et au bout d’un an, j’ai tout connu de ce personnage."

Par la suite, Fuentes a publié une courte nouvelle portant sur Lopitos, texte que Jorge Luis Borges a lu, "lui qui n’aimait pas les romans", précise Fuentes. "Nous avons discuté du problème du condamné à mort, se souvient l’écrivaine. Nous avons blagué là-dessus, il me disait que le condamné à mort était le seul à connaître la date de sa mort, et que cela changeait toute votre perspective… Il m’a encouragée à écrire cette histoire. Alors vous voyez, cela fait un bout de temps!"

King Lopitos, s’il rappelle l’actuel sous-commandant Marcos (chef des zapatistes), était d’abord un anarchiste. "Il était contre le pouvoir. L’histoire que je raconte est arrivée dans les années 50; c’était le roi de la pègre, et le gouvernement préférait cela à la guérilla. C’était plus facile à contrôler."

Le récit de Fuentes, poétique et succinct, trace le portrait d’un jeune homme qui grandit dans la misère, l’exploitation, la corruption, et qui, un jour, en a assez. Dans le vieil Acapulco des années 50, Lopitos subit le harcèlement des autorités, et promet de se venger. "Lopitos n’était pas encore méchant. Sa rancune, profonde et floue, ne savait pas où trouver sa vengeance. Même s’il n’y a pas de baume pour la rancune, il aurait pu travailler dans la construction et abandonner son étal de poissons, suivre le bon chemin."

L’homme refuse la misère et subit son destin tragique, que l’on connaît dès les premières pages. Si Vilma Fuentes ne met pas de gants pour parler de la mort et de la souffrance, ce bref roman demeure pudique, respectueux du peuple mexicain auquel elle appartient toujours, elle qui signe des chroniques littéraires dans le quotidien La Jornada. "Depuis que je suis en France (1975), je retourne souvent au Mexique, et, de toute façon, j’écris toujours pour les journaux. Être à Paris me donne une recul intéressant. Cela permet d’observer les événements de loin, et une décantation qui m’aide à écrire."
(Pascale Navarro)

King Lopitos
de Vilma Fuentes
Éditions Les Allusifs
2001, 96 pages


THOMAS LYNCH
"Parfois, je regarde dans les yeux des morts", écrit dans Still Life in Milford: Poems l’Américain Thomas Lynch, qui participera à la table ronde sur Les Amériques et les Métropoles coloniales à l’occasion du Sommet des écrivains des Amériques. À voir le profil de carrière de Lynch, on le croirait sorti tout droit d’un film d’un autre Lynch plus célèbre, David, ou en être un proche parent. C’est que, qu’on le veuille ou non, une certaine aura de mystère enveloppe Thomas Lynch. Non seulement est-il un essayiste et un poète réputé, mais Lynch exerce aussi la réjouissante profession d’entrepreneur de pompes funèbres à Milford, Michigan. Une double vie qui lui permet de coucher sur papier ses observations sociologiques, voire métaphysiques, d’une acuité presque clinique et terriblement réaliste. Bref, un écrivain d’une sensibilité et d’une lucidité aiguisées face à la condition humaine et qui ne sont pas restées dans l’ombre de ses salons pour autant, puisque Lynch se voyait remettre dernièrement plusieurs prix, dont le American Book Award, en plus d’être finaliste pour le prestigieux National Book Award pour son essai The Undertaking (L’Entreprise [de pompes funèbres]…), considérations philosophiques sur la mort et, surtout, les vivants. On ne doute pas qu’il sera alors intéressant de découvrir le regard original que Lynch posera sur certaines situations en Amérique.
(Jean-François Dupont)