Dominique Desbiens : Images de marque
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Dominique Desbiens : Images de marque

Théogonie: La Naissance des dieux , une oeuvre imaginée et scénarisée par Gilles Laporte, a été lancée il y a quelques semaines. Nous avons rencontré son illustrateur, DOMINIQUE DESBIENS, qui a prêté son pinceau et son talent unique à la réalisation de cet album.

Sans le savoir, vous connaissez peut-être déjà Dominique Desbiens. Non seulement ses oeuvres peintes circulent-elles dans de nombreuses galeries montréalaises, mais ses murales embellissent la ville depuis quelques années déjà. À ces oeuvres verticales et permanentes, il en ajoute d’horizontales et temporaires réalisées à même l’asphalte de l’avenue du Mont-Royal lors de l’événement estival Nuit blanche sur tableau noir. Et ça, c’est quand Desbiens n’est pas en train de réaliser ses propres bandes dessinées, de faire de la "peinture en direct", d’oeuvrer à son travail d’éditeur (du magazine de bandes dessinées Exil, coédité par Simon Dupuis), ou de vous convaincre d’acheter ce même magazine (souvenez-vous: c’était à la station de métro Mont-Royal), en vous vantant les qualités de la BD québécoise. Desbiens est un animal urbain incontournable.

Une BD multiforme
Ses débuts remontent au premier numéro d’Exil, qu’il a cofondé en 1992 alors qu’il était étudiant au Cégep du Vieux Montréal. Il y découvrait ce qui lui semblait être un art à part entière, mais qu’il entendait déjà pratiquer à sa manière: la manière Desbiens. "Je considère la BD comme un médium artistique égal à tous les autres. Mais pour moi, la BD, comme médium d’expression, devrait être sans limites. On me dit souvent que je ne suis pas un vrai dessinateur, que je suis un peintre. C’est vrai que je n’ai pas le sens assidu d’un bédéiste professionnel qui garde le même style à chaque case, avec le même personnage représenté sous différents angles. Il faut que je puisse improviser. Pour plusieurs histoires que j’ai publiées dans Exil, alors que j’avais dessiné toutes les planches et que les bulles étaient collées, il m’est arrivé de changer tout le texte, improvisant une nouvelle histoire, tout en laissant le dessin."

Cette façon de traiter l’oeuvre entière, il l’applique également d’une partie à l’autre de celle-ci: "Je traite chaque case différemment. Parfois je commence sur du carton avec du lavis, puis je passe à la couleur, à l’acrylique, et je reviens au crayon de plomb. J’utilise aussi des matériaux recyclés, des fibres, des pièces mécaniques et de plomberie, que je trouve dans les ruelles. Un quart des planches de Théogonie environ contiennent de ces collages, dont la page couverture. Certaines planches ont été peintes sur bois."

Une approche esthétique qui lui sert à représenter un univers et des thèmes souvent sombres, voire pessimistes. "C’est vrai que je ne suis pas très coloré, ni très jovial, je ne parle pas de la nature, du bonheur, de la joie. Je pense que toute forme d’art doit rester expressive et qu’il ne faut pas viser à faire plaisir aux gens. Mais c’est sans doute aussi le reflet de ma personnalité. Je suis peut-être trop bien dans ma vie, ce qui me donne le besoin d’explorer un volet moins superficiel, plus sombre."

Unissant ses idéaux d’écologie et d’improvisation en BD, Desbiens participe actuellement à un collectif intitulé Havre exquis, sorte de cadavre exquis en bandes dessinées conçue par Bernard Gagnon et Bruno Rouyère et réunissant une dizaine de créateurs. "On y recrée Montréal dans le futur, un Montréal complètement écologique. Il n’y a plus de véhicules polluants, l’alimentation y est saine, il y a des jardins partout. Une espèce d’écosystème idéal qui servira d’exemple aux autres métropoles. On dessine une case et on la passe au suivant, chacun disposant de 24 heures pour faire sa case. On va faire 52 pages comme ça."

Théogonie: la naissance d’un duo
Théogonie: La Naissance des dieux est le premier album de Desbiens, fait étonnant pour ce créateur de 29 ans qui oeuvre depuis dix ans en bande dessinée. C’est qu’il manquait à ce touche-à-tout d’être remarqué par un éditeur important (Mille-Îles) et d’être jumelé à un scénariste de talent (Gilles Laporte). "C’est après la sortie du numéro 4 d’Exil, en 1998, que William Swift, initiateur du projet, m’a proposé de travailler sur Théogonie. Je devais être jumelé à un scénariste européen, mais finalement Swift s’est tourné vers Gilles Laporte et il nous a demandé de travailler ensemble."

Desbiens ne tarit pas d’éloges au sujet de ce collaborateur. "Gilles est superefficace. Il était stimulant et plein d’initiative, il faisait mes story-boards presque au complet, jusqu’à ce que je lui dise de me laisser un peu plus de liberté. Il a aussi fait le lettrage du texte et des bulles, en superposition. Il y avait une belle cohésion entre lui et moi. Je ne le connaissais pas avant et j’avais un peu peur au début. J’ai rencontré tellement de gens dans cet univers-là, qui parlaient beaucoup et qui ne faisaient rien…"


Théogonie: La Naissance des dieux
Hugo est atteint d’une affection rare du cerveau qui le prive du sommeil paradoxal, nécessaire pour rêver. Dépourvu des symptômes d’hallucination que présenterait tout sujet normal, il devient le cobaye d’un riche institut de recherche, qui pratique sur lui des expériences de nanorobotique. Branché à des ordinateurs qui lui injectent de l’information, le garçon devient apte à voyager dans le temps, assistant par exemple à l’assassinat de Kennedy et en élucidant le mystère. Les choses se compliquent quand Hugo, envoyé dans un futur où il rencontre les dieux de l’Olympe exilés au centre de la Terre, refuse de rentrer…

Ce résumé n’est qu’un aperçu de ce qui demeure une bande dessinée relativement complexe et exigeante, née des préoccupations, de l’érudition et de l’imagination sans frein de Gilles Laporte, déjà connu des bédéphiles pour son impertinent Rupert K. (créé avec son frère Bruno Laporte). Loin d’être uniquement composé de bulles, le texte de Théogonie se distingue par la diversité des modes narratifs. Extraits des rapports des savants, articles de journaux, lettres du ministère des Ressources humaines, citation de Freud: Laporte maîtrise et marie les genres avec justesse. Sa narration finale à la tonalité épique nous transporte.

Efficacement scénarisé, l’album ne serait pas ce qu’il est sans les illustrations peintes de Dominique Desbiens. De la froideur du laboratoire au monde onirique plus éclaté, des images puissantes ressortent: le premier rêve du garçon peint sur bois, la "reine mère" Gaïa et son auguste chevelure, les planches finales représentant la révolte des dieux, particulièrement celle d’Hugo dans les bras d’un Titan. On y goûte la manière Desbiens, qui est un univers en soi, et on se réjouit de pouvoir, enfin, l’apprécier dans ses couleurs… grâce aux moyens des éditions Mille-Îles.

Mille-Îles, coll. "Fondation", 2001, 60 p.

Théogonie
Théogonie
Dominique Desbiens