Essais sur la mondialisation : Le monde est stone
Le capitalisme semble avoir fini par fermer le clapet à Karl Marx et à ses partisans. Empire, de MICHAEL HARDT et ANTONIO NEGRI, permet cependant de croire que les apôtres de la mondialisation crient peut-être victoire un peu trop vite.
Empire
se propose d’établir "un cadre théorique général et une boîte à outils de concepts pour théoriser et agir à la fois dans et contre l’Empire", c’est-à-dire l’actuel pouvoir économique, qui se caractérise principalement par des réseaux de production décentralisés. En d’autres mots, cet Empire est celui de la mondialisation.
Michael Hardt et Antonio Negri analysent l’ensemble des phénomènes socioéconomiques qui, au cours du XXe siècle, ont conduit à l’actuel totalitarisme des lois du marché: un monde dans lequel "la production économique et la constitution politique tendent de plus en plus à coïncider". Les gouvernements sont désormais considérés comme de simples entreprises de gestion, au sein desquelles la rentabilité a le dernier mot.
Jusqu’au milieu du XXe siècle, l’économie capitaliste était fondée sur la production d’objets destinés à être écoulés sur le marché. Aujourd’hui, "l’information et la communication constituent les biens produits; le réseau lui-même est le site à la fois de la production et de la circulation". Auparavant, les ouvriers étaient rassemblés au sein d’usines dont ils pouvaient enrayer la production en faisant la grève, ou en détruisant la machinerie. De nos jours, les employés d’une compagnie peuvent être dispersés aux quatre coins de la planète: dans un bureau de Singapour, dans un autre à Montréal, avec des dizaines de pigistes travaillant à la maison sur leurs ordinateurs personnels.
Isolés les uns des autres, ces employés ne peuvent pas faire la grève chacun de son côté! Ce fractionnement de la production est la force du capitalisme contemporain, mais c’est également son point faible. La décentralisation exige et permet de nouvelles formes de résistance à l’exploitation. Selon Hart et Negri, tandis qu’à l’usine, "la notion fondamentale de résistance était le sabotage, ce pourrait être la désertion à l’ère du contrôle impérial".
Le dispersement des diverses unités de production a pour conséquence que les patrons ne peuvent plus surveiller leur productivité aussi étroitement que lorsqu’elles étaient rassemblées sous un seul et même toit. La nouvelle structure du pouvoir économique crée ainsi de multiples occasions de démission en douce.
Empire démontre que Marx a encore raison: le capitalisme crée les conditions de sa propre ruine. Auparavant, on automatisait le travail; maintenant, on l’autonomise. Et, à force de "responsabiliser" le moindre employé, les patrons mettent chacun de nous en position de réaliser qu’en fin de compte, nous n’avons peut-être pas besoin de patrons pour faire notre travail…
Empire
par Michael Hardt et Antonio Negri
Éditions Exils, coll. Essais
2000, 599 pages
Les chiffres de la globalisation
La "globalisation est la gouverne du monde par de puissants intérêts économiques supraétatiques": la définition est claire. Tout comme la démonstration de Jacques B. Gélinas dans La Globalisation du monde.
L’ouvrage présente une énorme masse de renseignements. On y propose une histoire des structures économiques en Occident, depuis les cinq derniers siècles jusqu’à l’actuelle époque du "marché-roi". On y retrace également le développement de cette idéologie du laisser-faire économique qu’est le libéralisme.
Mais le grand intérêt du bouquin est de laisser parler les chiffres. Pour faire mentir ceux qui affirment que la mondialisation des marchés est une promesse de développement socioéconomique et de mieux-être pour l’ensemble de la population, il suffit de souligner, par exemple, que les chiffres d’affaires annuels d’Exxon Mobil et de General Motors (respectivement 185,5 et 173,2 milliards de dollars) sont plus élevés que les 168,3 milliards du produit national brut du Danemark! Que le PNB de la Grèce égale le chiffre d’affaires de Toyota!
La Globalisation du monde nous apprend qu’en 1960, les pays les plus riches l’étaient 30 fois plus que les plus pauvres; en 1995, ces mêmes pays étaient désormais 82 fois plus riches! En 1990, les 200 milliardaires les plus riches de la Terre possédaient à eux seuls un peu moins de 500 milliards de dollars; en 2000, ils possèdent désormais 1 200 milliards!
Après un bombardement de données pareilles, les derniers chapitres de l’ouvrage, consacrés aux possibilités et, surtout, à la nécessité de se réapproprier le contrôle des processus économiques, se lisent comme une urgente invitation à aller faire un petit tour au Sommet des Amériques dans quelques jours…
La Globalisation du monde
Laisser faire ou faire?
par Jacques B. Gélinas
Éditions Écosociété
2000, 340 pages
Le Procès de la mondialisation
dir. Edward Goldsmith et Jerry Mander
Vingt-cinq articles dénonçant les impacts des nouvelles structures de l’économie mondiale: c’est proprement Le Procès de la mondialisation que se proposent de faire les collaborateurs qu’ont rassemblés Edward Goldsmith et Jerry Mander. Évidemment, ça donne un ouvrage moins profond que touche-à-tout, ce qui permet cependant d’aborder certains aspects périphériques de la problématique de la mondialisation, comme "L’uniformisation de la culture planétaire", ou "Mondialisation et changement climatique". Et l’on y discute également de la nécessité de développer de nouvelles solidarités communautaires afin de lutter contre l’oppression qu’exercent les grandes corporations. De quoi nourrir sainement la réflexion.
Éd. Fayard, 2001, 489 p.
Les Pièges de la mondialisation
L’Agression contre la démocratie et la prospérité
de Hans-Peter Martin et Harald Schumann
Réimpression d’un ouvrage paru il y a cinq ans, mais dont l’actualité est encore plus criante qu’alors, Les Pièges de la mondialisation est un bouquin ouvertement polémique, qui insiste sur les impacts socioculturels et politiques de la mondialisation. Un des aspects les plus intéressants du livre est l’analyse du lien entre la disparition de la classe moyenne et la montée des extrémismes. Et lorsque les auteurs signalent qu’un des slogans de la mondialisation pourrait être "Disney über alles" ("Disney par-dessus tout", à l’image du "Deutschland über alles" des nazis), on se dit, avec un frisson de frayeur, que sous la plume de deux Allemands, l’allusion et l’insulte ne sont certainement pas gratuites…
Éd. Actes Sud, coll. Babel, 2000, 444 p.