La Perte et le Fracas : Alistair MacLeod
C’est un peu deux siècles d’Histoire que convoque le roman d’Alistair MacLeod. L’histoire d’un clan écossais déraciné et de sa dure survivance, depuis l’arrivée de leur ancêtre, Calum MacDonald, au Canada en 1779.
Outre le Cap-Breton, le passé est peut-être le personnage principal de La Perte et le Fracas, lui qui ne quitte pas les êtres, peu importe le chemin parcouru dans leur vie. C’est un peu deux siècles d’Histoire que convoque le roman d’Alistair MacLeod. L’histoire d’un clan écossais déraciné et de sa dure survivance, depuis l’arrivée de leur ancêtre, Calum MacDonald, au Canada en 1779.
Au début du roman, le descendant de celui-ci, Alexander, va visiter – et, accessoirement, regarnir en boisson – son frère aîné, un alcoolique échoué dans une miteuse maison de chambres à Toronto. Un exemple de la solidarité familiale qui unit le clan, de gré ou de force. Ces deux hommes, dont les modes de vie sont désormais aussi dissemblables que possible, sont toujours soudés par les indéfectibles liens du sang. "On doit toujours veiller sur les siens", répétait leur grand-mère, tel un mantra (un des leitmotivs de ce roman qui en contient plusieurs, à la manière de refrains familiers).
Le narrateur et sa soeur jumelle en savent quelque chose, ayant été élevés, dès l’âge de trois ans, par leurs grands-parents, après la tragique noyade de leurs parents. La figure de ces attachants aïeuls se détache du roman, magnifique; tout comme celle du grand-père paternel, si différent, traquant avec sérieux ses origines, faute d’avoir jamais connu son père.
Tous demeurent fidèles à une mémoire dont ils sont les dépositaires obligés. L’orthodontiste quinquagénaire, qui n’aura jamais cessé d’être "le petit garçon aux cheveux roux" (le "gille beag ruadh", dans la gutturale et chantante langue de ses ancêtres), déroule le fil du récit familial: les histoires qui font partie de l’héritage de la lignée (comme les chansons gaéliques), aussi bien les batailles anciennes des combattants des Highland, que le dur labeur des fils MacDonald au fond d’une mine dans les années 60, là où les travailleurs avaient tendance à se regrouper suivant leurs origines, et à se méfier les uns des autres.
Tissant des échos entre plusieurs couches de passé, MacLeod coud de petites histoires sur une trame assez lâche, que relie un amour des gens et des paysages. Dans la traduction lisse de Lori Saint-Martin et Paul Gagné (même si on a l’impression de perdre un peu de musicalité en changeant de langue), la pureté de son chant fait surtout merveille dans la narration et les descriptions, les dialogues se révélant parfois d’une simplicité un peu banale.
Baignant dans une douce nostalgie, mais se refusant à tout sentimentalisme, ce premier roman d’un grand nouvelliste canadien distille une émotion diffuse mais poignante.
Traduit par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, Éd. du Boréal, 2001, 264 p.