L’Enchantée / Bye bye, bébé : De filles en aiguilles
Le thème de la famille, et plus largement de la filiation, fleurit dans de nombreux romans québécois et canadiens actuels. Pensons à la trilogie de Marie Laberge (Le Goût du bonheur), mais également au succès du roman d’Alistair MacLeod, La Perte et le Fracas, et de celui, dans un genre plus populaire, de Pauline Gill (La Saga de la cordonnière).
Le thème de la famille, et plus largement de la filiation, fleurit dans de nombreux romans québécois et canadiens actuels. Pensons à la trilogie de Marie Laberge (Le Goût du bonheur), mais également au succès du roman d’Alistair MacLeod, La Perte et le Fracas, et de celui, dans un genre plus populaire, de Pauline Gill (La Saga de la cordonnière). Ces sujets ne sont pas nouveaux en littérature, évidemment, mais reviennent hanter les mémoires de nos écrivains à une époque où la famille se métamorphose.
Du côté de la production féminine, quête d’identité rime souvent avec maternité; ou ,du moins, avec le lien maternel, qu’il soit dérobé, caché, découvert ou retrouvé. C’est le cas du roman de Louise Portal, son second, elle qui avait publié il y a 20 ans Jeanne Janvier.
Son héroïne s’appelle cette fois Jeanne Mercure (décidément, il s’agit bel et bien d’un roman québécois…) et pratique le métier d’éditrice. Bien que rien ne cloche dans sa vie, Jeanne redécouvre, à la faveur d’une promenade, son enfance. Surtout, elle se remémore une femme qui a marqué sa jeunesse, sa tante Esther. "Tante vagabonde, insoumise, qui avait pris le bateau un jour pour l’Europe et n’était revenue que dix ans plus tard, comme une enfant prodigue." Travaillant alors comme modiste avec sa mère, Esther "s’inspire de ses racines amérindiennes pour créer des chapeaux de toutes sortes".
À travers la beauté des paysages, les descriptions voluptueuses de la nature qui entoure Jeanne, se révèle un drame humain, celui d’une femme, Esther, dont on tait le secret pour protéger la réputation familiale et sauver les apparences. Le récit de Louise Portal est assez bien mené jusque-là, dans lequel l’héroïne revisite son passé et apprend la vérité sur sa propre vie.
Se déroulant tour à tour près de la rivière Saguenay, en Provence et dans les Cantons-de- l’Est, l’histoire de Jeanne s’avère aussi celle de son père, de sa mère et de sa soeur, que la vie a malmenés par excès de silence et de honte. L’aventure intérieure nous est déroulée sur le ton de la confidence, du murmure, comme pour laisser toute la place à l’intimité, et au dévoilement progressif du secret familial.
Mais on décroche du fil de l’histoire, en bonne partie à cause de ces passages sur la vie spirituelle et sur Dieu; tantôt alourdissant la narration, tantôt infantilisant le lecteur, ils confèrent au récit de forts accents nouvel âge, rendant le style quelque peu ampoulé. Résultat: la profondeur des personnages s’amenuise, toute comme s’affaiblissent ces images que l’on s’était créées volontiers, grâce à l’écriture imaginative et sensible de Portal.
La vie de famille
Le style d’Elyse Gasco se situe dans un tout autre registre. Son recueil de sept nouvelles, gagnant du prix Qspell pour une première oeuvre (1999), est écrit sur un ton ironique, plein de jeux de mots et de clins d’oeil. Il met en scène des héroïnes confuses, perdues, qui s’interrogent tantôt sur leur statut de fille, tantôt sur leur nouveau rôle de mère. "Quand ils déposent la petite fille bleue sur ton ventre, tu es stupéfaite qu’une si minuscule affaire ait été aussi déterminée, aussi volontaire. Ils la lèvent vers toi et, pendant un moment, tu imagines ne pas la prendre dans tes bras, fermer les yeux, la refuser poliment comme si elle était un cadeau offert un soir de fête, quelque trophée décadent, un canapé de luxe que tu pourrais civilement décliner par un simple Non merci. Pas ce soir. Je surveille ma ligne."
Nous sommes bien loin du cérémonial auquel on nous a habitués pour parler maternité! Loin aussi de la béatitude convenue. Les héroïnes de Gasco sont en fait dubitatives devant leur nouvel éternel, elles qui ont déjà vécu un rejet, celui de leurs mères biologiques. Comment l’oublier, se demandent-elles, lorsqu’on devient mère soi-même?
Le temps s’arrête lorsque l’héroïne de Bye bye, bébé sort de l’hôpital avec son poupon. "Quand ils t’ont donné ton congé de l’hôpital, tu n’avais qu’une idée en tête: Il doit y avoir une erreur quelque part. (…) Il te semblait qu’il ne devrait pas t’être permis de sortir d’un hôpital avec un bébé dans les bras sans qu’une alarme se déclenche, ses sonneries, un avertisseur qui signale au monde entier, littéralement, qu’une mère arrive."
Ou qu’un père enlève sa propre fille, comme dans L’Araignée de Bumba, qui raconte un épisode de kidnapping à la fois saisissant et saugrenu, à l’issue duquel la narratrice retrouve ses parents adoptifs.
Au fond, tout est remis en question: les relations amoureuses, sociales, amicales, familiales. Comme cette nouvelle mère (Tu as le corps) qui se demande à quoi elle correspond dans ce monde. "Les gens te disent que maintenant tu atteindras la plénitude. Et tu t’étonnes de ce qu’ils pensaient de toi avant. Tu étais incomplète, de toute évidence. Un cours inachevé, un suspens quelque part entre la mort et l’échec."
L’humour cynique de Gasco est palpable dans les sept textes que nous présente le recueil. Le seul hic: cela ne coule pas toujours. Est-ce réellement la faute du traducteur (Ivan Steenhout, qui a signé d’excellentes traductions, dont celles de Trevor Ferguson)? L’humour canadian, les jeux de mots, ces images en cascades imprégnées de l’air du temps rendent la lecture ardue, notamment dans les deux premières nouvelles. Si l’on passe sur cette difficulté, on savourera sans doute avec plaisir l’imagination loufoque d’Elyse Gasco, son style très éclaté et son sens de la provocation.
L’Enchantée, récit d’une quête
de Louise Portal, 2001, 208 p.
Bye bye, bébé
d’Elyse Gasco
Éd. l’Instant même, 2001, 205 p.