Suzanne Jacob : Le fil de l'histoire
Livres

Suzanne Jacob : Le fil de l’histoire

Polyvalente et talentueuse, SUZANNE JACOB nous donne un roman inspiré, plein de recoins et de symboles. À l’occasion de la sortie de Rouge, mère et fils, l’écrivaine fait le point sur son parcours.

Elle a le rire facile, le don de l’image, l’esprit plus que vif. En 20 ans, elle a écrit une bonne quinzaine de livres, composé des poèmes, des chansons, donné des spectacles, touché au cinéma (elle a coscénarisé, avec Charles Binamé, La Beauté de Pandore). On a l’impression qu’elle est partout, de tous les débats, salons, récitals, conférences, colloques et autres rencontres internationales.

Et que tout la passionne. Elle s’intéresse autant aux traditions orales qu’à la façon dont se transmettent héritages et mémoires, à l’histoire amérindienne, l’ethnologie, la musique, l’acoustique, l’effet des vibrations sonores sur notre corps ou la lecture rapide. En fait, Suzanne Jacob ressemble beaucoup à ses livres, qui embrassent le monde, qui font sourire quand tout grince, et qui nous poussent à réfléchir.

L’écrit et l’oral
Pourtant, l’auteure de L’Obéissance ne pensait pas qu’elle deviendrait écrivaine. "Ça m’a pris beaucoup de temps à faire le lien entre écrire et publier, explique-t-elle. Mon premier livre, je l’ai écrit en 1978, j’avais donc 34 ans. J’écrivais déjà, mais jamais dans le but de publier. Et puis un jour que je voulais faire un cadeau à une amie, et que je n’avais pas d’argent, je me suis dit tiens, je vais lui écrire une histoire."

Une histoire qu’elle a fait lire à un ami qui connaissait quelqu’un dans le milieu de l’édition (Paul Paré, directeur de collection chez Parti Pris), lequel s’est empressé de la convaincre de publier. "Ce n’est pas que ça me paraissait inaccessible, précise Suzanne Jacob. Mais je faisais alors de la chanson, un peu de spectacle, et je ne pensais pas à ça. Aujourd’hui, avec le recul, je crois que cette attitude avait quelque chose à voir avec toute la question du "pourquoi publier" (qu’elle aborde dans l’un des textes de Bulle d’encre). Je sais que dans la tradition de l’histoire orale amérindienne, par exemple, les nomades transportent avec eux leurs histoires, elles sont comme leur bien, elles leur appartiennent, elles se transmettent de l’un à l’autre. Et il est fort possible que, d’une façon lointaine, j’aie hérité de ça, de cette culture orale; ce qui expliquerait que la publication était alors pour moi un autre monde. Mon désir premier, c’était qu’on se conte des histoires, qu’on se raconte le monde. Et parfois je me dis que Gaston Miron avait peut-être aussi senti ça. Il n’a écrit qu’un livre, mais il n’a jamais cessé de raconter des histoires aux gens."

N’empêche. Après avoir publié Flore Cocon (Parti Pris 1978, L’Hexagone 1990), puis un recueil de nouvelles, La Survie (Le Biocreux 1979, BQ 1989), c’était parti, sinon pour la gloire, du moins pour la consécration. "Marrainée" par Anne Hébert, Suzanne Jacob faisait son entrée au Seuil avec Laura Laur, un roman pour lequel elle remportait coup sur coup le Prix Paris-Québec et le Prix du Gouverneur général 1983. Entre La Passion selon Galtée (1988) et L’Obéissance (1991), tous deux au Seuil, il y a eu des récits (Maude, NBJ, Plages du Maine, NBJ), des nouvelles (Les Aventures de Pomme Douly, 1988; Parlez-moi d’amour, Boréal), des chroniques (AH…!) et des prix, encore, pour les poèmes de La Part du feu (Prix de la SRC, Prix du Gouverneur général 1998) et les essais de La Bulle d’encre (Prix de la revue Études françaises 1997).

Un roman qui se cherche
Suzanne Jacob a eu beaucoup de chance, et elle le sait. Quatrième d’une famille qui comptait sept enfants, elle a grandi dans l’amour des livres et de la musique. "Ma soeur aînée lisait tout le temps, raconte-t-elle. Elle a lu toute la bibliothèque d’Amos! Elle m’a beaucoup encouragée à écrire; et elle continue d’être ma conseillère principale. Ma mère était pianiste, et de voir tous ces cahiers de musique relus des milliers de fois m’a certainement donné envie de lire et relire des romans comme on relit des partitions (en ce moment elle relit pour la énième fois L’Hôtel blanc, de D. M. Thomas, "un livre extraordinaire!"). En attendant que Rouge, mère et fils arrive entre les mains des lecteurs, Suzanne Jacob n’arrête pas. "Pour moi, écrire est un travail constant. Même si je ne suis pas en train de rédiger, le roman s’organise. Quand je me promène, quand je voyage, quand je roule en voiture. Rouler en voiture, faire une longue route, c’est incroyable comme ça organise un roman! En ce moment, par exemple, il y a déjà un autre roman. Il y a un toujours un autre roman qui se cherche."

Rouge, mère et fils
de Suzanne Jacob
Éditions Seuil
2001, 279 pages


Rouge, mère et fils
Disons que tout tourne autour de Delphine, une femme qui a beaucoup été aimée, une peintre qui cherche à comprendre ses origines et par là, peut-être, le sens de sa vie. À moins que ce ne soit plutôt autour de son fils, Luc, 27 ans, beau, brillant, mais qui résiste à la vie qu’on lui propose; qui, plutôt que de terminer sa thèse, passe des heures devant son ordinateur à jouer au solitaire, ou à faire du bénévolat, à travailler chez Valentine, coin de Pie IX et Sainte-Catherine, ou à quêter devant une bouche de métro. Disons qu’à eux deux, ils forment la trame et le fil d’une toile qui va nous happer. Autour de ces deux êtres liés à vie, mais qui se cherchent, se trouvent et se perdent, gravitent d’autres êtres dont les liens solides mais cachés vont finir par se révéler. Le père de Luc, la femme qu’il aime, les amants de Delphine, et d’autres encore – des Hells Angels, un voleur de grand chemin – dont les trajectoires vont toutes finir par se croiser.

On l’aura compris, Rouge, mère et fils échappe à toute tentative de résumé. Mais c’est un envoûtement. Un roman qui épouse les mouvements de la pensée, qui imite la vie, qui donne l’impression de se déployer plutôt que d’avancer, ou d’onduler, comme "les soies tendues des aurores boréales". Un roman qui commande plusieurs lectures tant il donne à voir, à penser, à réfléchir. Rempli de scènes, d’images profondément marquantes, et peuplé de personnages inoubliables. Avec Rouge, mère et fils, Suzanne Jacob fait preuve, tout simplement, de virtuosité.