Regarde, regarde les lions : Émile Ollivier
S’il est un écrivain québécois en position de se voir attribuer un jour le prix Nobel de littérature, c’est Émile Ollivier. Il compte parmi les romanciers les plus importants de notre époque.
S’il est un écrivain québécois en position de se voir attribuer un jour le prix Nobel de littérature, c’est Émile Ollivier. Il compte parmi les romanciers les plus importants de notre époque. Son oeuvre est à mettre au même rayon que celles de Gabriel García Márquez, Derek Walcott, Salman Rushdie, Toni Morisson: des noms majeurs de ce que, faute de mieux, il faut se résoudre à appeler la world literature.
Regarde, regarde les lions rassemble 14 nouvelles dévoilant autant de facettes de l’univers caraïbo-québécois d’Émile Ollivier. L’ouvrage n’est peut-être pas le meilleur cru de l’auteur. Les récits recueillis sont inégaux, et la saveur du style d’Ollivier tient à une certaine ampleur du souffle qui, dans le cadre restreint de ces courts textes, ne trouve pas toujours suffisamment de place pour se déployer.
N’empêche que plusieurs des nouvelles réunies dans ce bouquin sont de purs bonheurs pour leurs lecteurs et lectrices. Quelques-uns de ces récits sont campés dans des paysages montréalais. Lumières des saisons fait état, sur fond de notre fameux hiver du verglas, des origines d’un rosier damné. La Répétition décrit une touchante leçon de chant qui trouve place dans un wagon de métro. Une nuit, un taxi raconte un moment dans l’existence d’un immigrant haïtien rattrapé par les fantômes de ses traditions populaires.
Dans l’univers d’Émile Ollivier, les frontières entre le réel et l’imaginaire sont de véritables passoires. Ses récits ne cessent de se rebeller contre un monde où "les événements meurent vite, étouffés par la quotidienneté", ainsi que l’auteur l’écrit dans La Triple Mort de Salomon Lacroix.
Rappelant les meilleurs moments de ses principaux romans (Mère Solitude et Les Urnes scellées), certains des textes recueillis dans Regarde, regarde les lions sont néanmoins de l’Émile Ollivier à son meilleur. Nocturne suit les pas d’un homme qui vit dans un quasi-esclavage; un matin, le pauvre bonhomme découvre à son réveil qu’il a été transformé en bâton, ce qui lui donnera l’occasion de rosser son patron! La Supplique d’Élie Magnan nous plonge dans un monde où les autorités interdisent à leurs citoyens "d’employer les mots et expressions qui n’appart[iennent] pas au terroir, qui n'[ont] pas poussé avec "nos racines"", et la nouvelle devient une remarquable dénonciation de l’intégrisme linguistique.
Le principal charme de l’écriture d’Émile Ollivier tient d’ailleurs à sa manière de métisser la langue française, en l’investissant d’une luxuriance créole. Comme lorsque le narrateur de L’Ultime Lettre se remémore son amour pour sa femme, qu’il a "connue déesse et […] reconnue à [s]on parfum de jasmin, gencives violettes et dents de nacre, danse d’oiselle coureuse des Caraïbes, meringue cool, ventre contre ventre, collé-serré, nuits bavardes, tambours insomniaques, sève perforeuse, mémoire charnelle, orgasme tapageur".
Malgré plusieurs pages mémorables, Regarde, regarde les lions n’est pas le livre qui assurera la postérité d’Émile Ollivier. De toute façon, ses précédentes publications s’en sont déjà chargées. Il reste qu’un ouvrage mineur d’Émile Ollivier vaut mieux que bon nombre des bouquins éparpillés sur les tables de nouveautés des librairies.
Éd. Albin Michel, 2001, 230 p.