Tazmamart Cellule 10 : Éloge de la lumière au temps des dinosaures
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Tazmamart Cellule 10 : Éloge de la lumière au temps des dinosaures

Après la controverse entourant l’écrivain Tahar Ben Jelloun (à qui ses compatriotes, et notamment Ahmed Marzouki, reprochent le long silence sur les événements entourant leur détention), Tazmamart Cellule 10 tombe comme une tonne de briques: le voilà, ce récit "véridique" qui raconte les années de torture et de souffrance vécues par ces prisonniers marocains dans le bagne désormais célèbre.

Après la controverse entourant l’écrivain Tahar Ben Jelloun (à qui ses compatriotes, et notamment Ahmed Marzouki, reprochent le long silence sur les événements entourant leur détention), Tazmamart Cellule 10 tombe comme une tonne de briques: le voilà, ce récit "véridique" qui raconte les années de torture et de souffrance vécues par ces prisonniers marocains dans le bagne désormais célèbre.

Dans sa préface, Ignace Dalle, journaliste à l’Agence France Presse à Rabat, relate sa rencontre, en 1993, avec Marzouki. "Accompagné par deux de ses camarades survivants du bagne de Tazmamart, il entendait attirer l’attention de l’opinion publique sur le non-respect par les autorités marocaines des assurances qui leur avaient été données au moment de leur libération au mois de septembre 1991."

En effet, contre des soins médicaux, l’assurance d’un logement et d’un boulot, le colonel en charge de sa libération demande à Marzouki de se taire… Le gouvernement promet des conditions d’accueil à la nouvelle vie civile des prisonniers, mais rien n’a été respecté et ces hommes se battent pour que, en tout premier lieu, on les écoute.

Sous cet éclairage apparaît encore plus révoltante l’histoire de ces prisonniers.

Si le récit de Ben Jelloun, dans Cette aveuglante absence de lumière, émouvait par les descriptions de la vie dans les ténèbres, des maladies et des souffrances psychiques qui ravageaient les prisonniers, le livre de Marzouki décrit plus à fond les ravages de la manipulation mentale, des humiliations, et surtout, surtout, les séquelles et le mépris post-Tazmamart… Car ce qui frappe, à la lecture du récit, c’est à quel point les prisonniers qui ont voulu parler, témoigner, dénoncer ont été muselés, oubliés, parfois même ridiculisés. Pour avoir voulu raconter son épreuve, Marzouki, en 1995, a été enlevé, séquestré et victime de harcèlement, de menaces pour avoir osé raconter sa vie à un journaliste (Dalle). Bref, le cauchemar a continué, même après la noirceur.

Le livre raconte donc, selon la chronologie des événements, l’arrestation et la séquestration des 58 prisonniers, alors dans la fleur de l’âge; puis, il fait le récit de ces 18 années passées à l’ombre, dans ces trous, où on les a traités comme des bêtes, avec qui, d’ailleurs, ils partageaient leur quotidien. Au coeur de ce récit, le chapitre 13, In Memoriam, rend un hommage désespéré à ces disparus, morts dans leur solitude, sans famille, sans personne à qui rendre leur dernier souffle. "Ces trente décès, presque toujours dignes, ont été parmi les événements les plus douloureux de notre détention. En évoquant ici quelques-unes de ces disparitions, nous ne voulons pas seulement rendre un dernier hommage à nos camarades, mais faire en sorte que nos compatriotes respectent leur mémoire et n’oublient jamais le calvaire qu’ils ont subi du fait de la cruauté et de l’inhumanité de certains de nos responsables." Puis une succession de textes donne les noms, présente les portraits physique et psychologique de chacun d’entre eux, et rapporte, parfois, les ultimes volontés des mourants, ainsi que les circonstances de leurs dernières heures que les maladies, jamais soignées (ulcères, diarrhées, bronchite, et tant d’autres), rendent infernales.

Le dernier tiers du livre est consacré à la sortie de Tazmamart, et aux ennuis qui continuent. Marzouki a écrit ce livre pour que le grand public sache ce qui est arrivé avant, pendant, et après. Q’Il sache aussi que le gouvernement et les gens au pouvoir ont tout fait pour l’empêcher de faire connaître la vérité.

Heureusement, sa persévérance, son courage, celui de ses amis également ont enfin porté fruit. D’autres aussi l’ont aidé: tous ces gens qui travaillent dans des organisations pour les droits humains (et notamment Christine Daure-Serfaty, qui fut la première à dénoncer la situation à Tazmamart), et que l’on prend souvent, avec un brin d’arrogance, pour des pelleteux de nuages. Il faudra enfin reconnaître un jour que sans eux, la barbarie ne serait JAMAIS dénoncée.

Tazmamart Cellule 10
d’Ahmed Marzouki, 2001, 33 p.

Tazmamart Cellule 10
Tazmamart Cellule 10
Ahmed Marzouki