En solo dans l'appareil d'État / Comment trouver l’emploi idéal : Rêves désorientés
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En solo dans l’appareil d’État / Comment trouver l’emploi idéal : Rêves désorientés

En solo dans l’appareil d’État et Comment trouver l’emploi idéal font tous deux une critique de notre société: le premier, sur un mode sérieux; le second, de manière loufoque. Malheureusement, les deux romans n’ont pas la même efficacité.

L’Asie est très tendance, comme le suggèrent quelques romans québécois, dont ceux de François Tétreau (Le Lit de Procuste, 1987, Attentats à la pudeur, 1993) et de Nicolas Fauteux (Trente-six Petits Cigares, 1998). Si, pour En solo dans l’appareil d’État, le point de vue oriental constitue un véritable levier romanesque, il est tout à fait accessoire dans Comment trouver l’emploi idéal.

François Tétreau se livre à un exercice en fait très périlleux, puisqu’il donne la parole à Qiu Ang, une jeune guitariste d’un groupe rock de Shanghai, qui observe le monde occidental, à commencer par cette Amérique du Nord qui représente, en principe, la liberté.

En tournée avec le groupe auquel elle appartient, Dazibao, qui connaît un grand succès en Chine, Qiu demande l’asile politique en plein spectacle, sous les feux des projecteurs. "Je me place sous votre protection. Je demande l’asile politique. Remue-ménage à l’orchestre, les journalistes se bousculent, les flics transmettent l’information à leurs supérieurs, Hua me dévisage comme si j’étais une hydre, elle ne perçait pas le sens des mots, mais sentait que je lui ravissais son spectacle, le public interdit, déboussolé, gardait le silence."

On comprend rapidement que la jeune femme est aussi une espionne, comme en témoignent les nombreux rapports qu’elle fait parvenir à son organisation, en Chine (rapports qui constituent le texte du récit).

L’occasion est bonne pour elle de commenter les événements, les comportements, les traditions, les idéologies qui sévissent ici, chez nous. C’est à la faveur d’une rencontre avec un journaliste, Oscar Hamilton, qu’elle découvre le monde des médias.

La jeune Chinoise se livre alors à une critique en règle de la suprématie occidentale blanche (même si elle ne le dit pas comme ça, c’est ce que l’on comprend). "En voix off, la blonde répétait pratiquement mot pour mot la dépêche parue la matin, celle que je vous ai transcrite: "Une dissidente chinoise demande l’asile politique. Depuis le génocide de la place T’ien an Men, c’est la seconde fois qu’une personnalité de ce pays communiste", etc. Communiste, prononcé sur un ton. La seconde fois qu’une personnalité de ce pays de barbares réclame chez nous le statut de réfugié." Qiu supporte mal ce mépris, cette arrogance.

Et elle s’interroge. Les médias appartiennent-ils tous au même propriétaire, eux qui racontent la même chose sur tous les postes? se demande la jeune femme. Et on ose réprouver le communisme?

Tétreau attaque aussi, à travers la voix de son héroïne, le système politique et l’esprit colonialiste qui règnent en Amérique. "Corriger les Chinois, civiliser les Africains, tenir la bride aux Européens, dresser les Russes! C’est simple, jamais je n’ai pu encadrer les évangélistes, ceux qui s’autorisent à donner des leçons de morale à tout le monde, qui prétendent vous sauver contre vous-mêmes (…)."

L’auteur parvient, ce qui n’est pas facile, à porter jusqu’au bout ce point de vue extérieur, cette posture qui permet d’étayer une critique sociale. Le problème, c’est que le personnage féminin, pourtant bien incarné, bien vivant aux yeux du lecteur, n’évolue pas sur le plan romanesque: les autres personnages plus difficiles à croire, leurs voix étant trop floues, ne donnent pas le change à l’héroïne. Si bien que, même si l’on s’attache à elle, le projet de ce livre nous apparaît plus pamphlétaire que romanesque. C’est sans doute ce qui explique l’impression d’inachèvement qui s’en dégage.

Histoire inventée
Dans le second roman, Nicolas Fauteux a créé un personnage: Kwaï, sympathique de prime abord, qui se languit de mener une vie normale. Il ne veut plus travailler comme embaumeur, métier qui l’horripile, et auquel il ne s’habitue pas. On le comprend.

Il préférerait, de loin, faire de l’argent, et couler des jours heureux quelque part, au soleil. Qui le contredirait?

De plus, Kwaï cultive des velléités d’écrivain. "Un jour, j’aimerais trouver les mots qui ouvriraient l’âme de ceux qui les liraient. Expliquer la vie, la mort et l’univers encore mieux que tous ceux qui l’ont fait avant moi, depuis l’âge des tablettes d’argile. Parfois, j’ai des élans d’inspiration dans ce sens, mais quand je me relis, je m’aperçois que je ne fais que parler de moi et de mes désirs. Je ne fais que courir après des histoires déjà écrites."

Kwaï, qui "a vécu une enfance et une adolescence sans intérêt dans une banale commune agricole du Sud-Est asiatique", trouve un jour un emploi dans une compagnie pharmaceutique. Il est payé très cher pour rester dans une pièce et répondre à des appels qui ne viennent jamais. Son compagnon, Geki, lui met la puce à l’oreille (ou, comme le dit Kwaï, "le bus à l’orteil"…): et s’ils étaient là pour servir de cobayes?

Entre-temps, Kwaï s’achète de beaux vêtements, entreprend de se trouver un vrai logement, sort dans les discothèques pour rencontrer des filles. Il tombe amoureux de Shixiu, dont il nous raconte l’histoire, en digression. Il y en a d’ailleurs beaucoup, de digressions, dans le roman de Nicolas Fauteux: ses lectures, le roman qu’il commence et qu’il intègre à son récit; ou encore la vie de sa mère, qui est donnée par fragments, avant chaque chapitre, et qui ne nous renseigne pas beaucoup sur le roman que l’on a sous les yeux.

Pour tout dire, on s’ennuie un peu tout au long cette histoire tirée par les cheveux. L’intrigue ne prend son envol que dans le dernier tiers du roman, alors que l’on en apprend un peu plus sur ce fameux "emploi idéal", et sur les moyens que prend Kwaï pour parvenir à ses fins.

Le roman aurait gagné à être resserré autour du récit principal, et aurait sans aucun doute bénéficié d’un travail plus rigoureux sur l’écriture. Alors que le style de l’auteur se montre quelques fois inventif, trop de mauvais jeux de mots ("une couche additionnelle de mystère", par exemple) alourdissent le tout, sans compter l’humour douteux que nous sert Fauteux.

Bref, une farce qui, malgré un début prometteur, ne tient pas la route.

Alors que chez François Tétreau l’Orient constitue un élément déclencheur, sur lequel s’appuie tout le récit, il ne veut rien dire de particulier chez Nicolas Fauteux – qui avait fait bien mieux avec son livre précédent, Trente-six Petits Cigares.

En solo dans l’appareil d’État
de François Tétreau
Éd. de l’Hexagone, 2001, 182 p.

Comment trouver l’emploi idéal
de Nicolas Fauteux
Éd. Vlb, 2001, 195 p.

En solo dans l'appareil d'État
En solo dans l’appareil d’État
François Tétreau