Giovanna Casotto : Hors cadre
GIOVANNA CASOTTO est une bédéiste italienne. Elle pratique un genre particulier: le fumetti. Une bande dessinée érotique, où très peu de femmes se risquent. Elle nous confie sa vision du métier.
Le cul, la porno, l’érotisme sont à la mode. Il y en a partout. Dans les salons privés des vidéoclubs, dans les magazines, dans les téléromans. Le sujet est devenu prétexte à des conversations relevées. Mais qu’en est-il au juste? Quelle différence y a-t-il entre la pure exploitation du sexe à des fins commerciales et l’art érotique authentique? Exercice périlleux, certes, si ce n’est dans la bédé italienne, appelée là-bas fumetti, qui mérite totalement l’intérêt qu’on lui porte en Europe.
L’Italie a produit de très grands noms maintenant exportés à travers le monde: le Déclic de Manara a été adapté au cinéma, Druuna de Serpieri se retrouve dans toutes les bonnes librairies et Ranxerox de Liberatore est désormais un classique. Pourquoi l’Italie? Bonne question. Chose certaine, les dessins érotiques des maîtres du fumetti se caractérisent tous par une sensualité exacerbée par la magie du trait, l’originalité des cadrages et l’audace des scénarios. Audace parmi les audaces, l’école italienne a même mis au monde une jeune dessinatrice de talent, Giovanna Casotto, clone de Régine Desforges et de Hans Bellmer, véritable égérie du dessin cochon. Si Casotto avait vécu dans les années 30, les surréalistes en auraient fait leur icône.
Libre avec son corps
Giovanna Casotto a la trentaine épanouie, mais pas fatale, c’est une belle d’Ivory. Elle ressemble à votre soeur, à votre blonde. C’est la fille d’à côté, votre collègue de travail. Elle est rapidement devenue la dessinatrice de bédé érotique la plus talentueuse du moment, et elle a un point de vue très particulier sur son oeuvre. "J’ai décidé de me dessiner moi-même parce que je ne trouvais pas de modèle qui veuille poser nue pour moi, admet-elle. De plus, en dessinant mon propre corps, je suis libre de l’améliorer comme je le veux et je peux incarner toutes sortes de femmes différentes: vamp, agressive, fragile, salope, innocente, etc."
Ce que fait Casotto rejoint les normes du fumetti, mais avec une originalité propre.
Aussi audacieuse que ses collègues masculins, la dessinatrice mélange pudeur et provocation. "Le monde est sexuel, dit-elle. La sexualité est partout: dans le mouvement, dans la voix, dans la façon de remercier, de sourire, la manière de s’asseoir… J’ai une relation très intime avec tout cela et je me sens naturellement portée à l’exprimer librement, au grand jour…"
L’Italie est devenue LE grand pays producteur de bédés érotiques. Du jamais vu en termes de qualité et de quantité. Grâce, entre autres, à des éditeurs comme Stefano Trentini. Ce que font les Italiens, et particulièrement Casotto, est aux antipodes de la pornographie à l’américaine, qui manque souvent de subtilité. Où une dessinatrice comme Casotto trouve-t-elle son inspiration? "Principalement dans mes rêves, mais aussi dans des films que je vois, des livres ou à partir de franches conversations avec mes amies…"
La technique picturale du fumetti est très particulière. Les angles et le cadrage des dessins ne sont pas étrangers à l’effet érotique obtenu. Ce choix place le lecteur "dans" le dessin, comme s’il y participait. Chez Casotto, les femmes, très jolies, sont très loin du modèle anorexique et siliconé imposé par l’industrie pornographique dominante. Elles ont des poils, de vraies poitrines et des hanches larges.
Est-ce un choix volontaire, une contestation? "Oui, dit Casotto, j’essaie d’exprimer l’érotisme par le choix des angles et des cadrages, comme un réalisateur de films. Je présente souvent le corps en entier, pieds y compris. Le cadrage doit donner l’impression que la femme de mon dessin est avec le lecteur, qu’elle veut l’exciter (lui ou elle), de telle sorte qu’on la voit souvent d’une perspective inférieure, d’en dessous." Elle accorde beaucoup d’importance à la peau de ses personnages, au ton du dessin, précisant qu’elle n’a rien contre la porno, le silicone ou la maigreur des mannequins. "Mais je préfère simplement un érotisme ancré dans la réalité quotidienne", confie-t-elle.
Serait-ce là le secret de la puissance érotique d’une oeuvre? Patrie de la romance et de la séduction, l’Italie, avec ses fumetti, nous ramène sur le chemin d’un voyeurisme de bon aloi; et,surtout, d’une jouissance libérée des entraves du commercial sordide.
Pin up libertines, 2000
Mauvaises Habitudes, 1998
Expériences intimes, 1997
Les Désirs de Vénus, 1997
Chambre 179, 1996
Tous aux éditions Vents d’Ouest
Site des éditions Trentini: www.3ntini.com