Les Choses terrestres : Jean-François Beauchemin
Il est évident que dans la vraie vie le bon sentiment a du mal à avoir la cote. Comme le dit Jérôme Des Ruisseaux: "(D)e nos jours, pour être à la mode, il faut surtout faire un tas de fric, et après, s’il reste du temps, on peut commencer à être gentil."
Il est évident que dans la vraie vie le bon sentiment a du mal à avoir la cote. Comme le dit Jérôme Des Ruisseaux: "(D)e nos jours, pour être à la mode, il faut surtout faire un tas de fric, et après, s’il reste du temps, on peut commencer à être gentil." Ce n’est pas nouveau. Et ce qui n’est pas nouveau non plus, c’est que le bon sentiment n’a toujours pas meilleure presse en littérature. Rien à foutre.
Mais cela n’empêche pas Jean-François Beauchemin de réitérer l’expérience avec le troisième tome des aventures quotidiennes, tout en moult petites douceurs sur grandes douleurs, de la famille Des Ruisseaux. Rien ne sert d’avoir lu les précédents romans pour s’y retrouver. Revoilà Jérôme, le narrateur, qu’on a connu à 13, puis à 20 ans, et qui n’a toujours rien perdu de sa syntaxe infantile bien qu’il ait aujourd’hui 30 ans. Il a épousé son amour de toujours, Joëlle, qui n’est rien de moins qu’un ange. C’est elle qui fait le ménage, les repas, qui gagne des sous, qui emballe le coeur des hommes et réjouit tout le monde alentour (et comme un ange, on n’est pas bien sûr qu’elle ait un sexe).
Ensemble, ils prennent soin de Jules, dit "le petit", 17 ans, "attardé de la région du contenu psychologique". Après avoir pleuré son père dans Comme enfant je suis cuit (1998), puis sa mère dans Garage Molinari (1999), Jérôme pourrait bien cette fois perdre son frère. C’est que le petit souffre d’un "détraquement du tourne-disque", et toutes les cures de beauté prescrites par le bon docteur M’Bélélé ne semblent pas vouloir faire taire la tourterelle triste qui a élu domicile chez le malade. C’est pas le gâteau au chocolat de la voisine qui va aider. Ni la chaise roulante musicale des patenteux du quartier. Quant à Dieu, on n’en parle pas. S’il y a un sans-coeur dans l’histoire, c’est bien Lui.
Malgré une filiation évidente avec Émile Ajar et Boris Vian, qui ne se dément pas depuis ses débuts d’écrivain et dont on retrouve encore la trace dans son premier roman pour adolescents: Mon père est une chaise (Éd. Québec Amérique, 2001), Jean-François Beauchemin a quelque chose de distinctif dans la voix. On se laisse séduire par le vocabulaire de quincaillerie dont il use pour décrire le b-a ba de la mécanique émotive: et grondent les "poulies à audace", les "accumulateurs à gentillesse", les "pompes à espoir", et les "petits amortisseurs de triste réalité dans le crâne"…
Cela dit, la force de Beauchemin tient peut-être davantage dans son authenticité. On n’a aucun doute que l’auteur est tout entier préoccupé par "deux ou trois choses dont on ne parle plus beaucoup: la splendeur de vivre, le silence obstiné des dieux, l’outrageuse domination du travail, la gigantesque machine à injustice qu’est l’argent", dont il admet lui-même avoir tartiné maintenant près de sept cents pages. Après sept cents pages du même acabit, l’effet de surprise s’en est allé. Mais l’orgie de bons sentiments qui sourd de l’oeuvre continue, allez savoir, d’avoir quelque chose d’irrésistiblement séduisant…
Éd. Québec Amérique, 2001, 281 p.