Persepolis / Le Val des ânes : Livres d’images
La vogue de l’autobiographie dessinée ne se dément pas. Deux parutions consacrées au monde de l’enfance, mais aux tonalités et aux styles complètement différents, viennent d’enrichir cet intéressant courant BD.
La vogue de l’autobiographie dessinée ne se dément pas. Deux parutions consacrées au monde de l’enfance, mais aux tonalités et aux styles complètement différents, viennent d’enrichir cet intéressant courant BD.
Port du foulard et égalité sociale
La révolution islamique vue et racontée par une enfant de 10 ans? C’est ce que propose cet audacieux premier tome de Persepolis, qu’il est d’ores et déjà convenu d’appeler le "premier album de bandes dessinées iranien", oeuvre d’une femme, Marjane Satrapi, invitée la semaine dernière au festival montréalais de littérature Metropolis bleu.
Le livre s’ouvre sur un premier chapitre (neuf au total), où la petite Marjane, âgée de 10 ans en 1980, à la suite de la révolution qui accompagnait la destitution du chah, passe brusquement d’une école bilingue française, laïque et mixte à une école religieuse, unilingue et unisexe, où le port du foulard est devenu obligatoire. Un récit qui donne le ton au reste du récit, dans lequel l’héroïne est constamment partagée entre le rire et le drame, entre son histoire personnelle et celle de son pays, et où on la voit également déchirée entre sa foi religieuse (elle parle à Dieu, qui est dessiné dans la BD) et la fièvre révolutionnaire de ses parents. Sans compter la déception provoquée par le tour que prendra la révolution, les idéaux de Marx portés par les intellectuels étant rejetés au profit du fanatisme religieux populaire.
Tout comme le ton narratif de la petite fille désarme le lecteur, malgré la gravité des événements évoqués, le dessin est d’une simplicité et d’une clarté de plume étonnantes: charmantes dans certains cas, d’une crudité qu’on ne peut éviter dans d’autres (par exemple, dans les descriptions des tortures subies par les prisonniers d’opinion amis de la famille). Si les scènes intimes sont sobres (sur fond blanc ou noir, avec peu de meubles et d’objets entourant les personnages), la manière avec laquelle sont peints les événements historiques rappelle la simplicité des fresques médiévales, entre autres par la symétrie dans la représentation de sujets groupés: une armée en manoeuvre, des victimes du régime, des prisonniers politiques libérés, une foule en liesse à l’annonce de l’exil du chah. De fait, il y a quelque chose de vaguement épique dans l’album de Satrapi, qui n’entreprend rien de moins que l’histoire contemporaine de l’Iran et la sienne, simultanément. Un grand défi dont on attend la suite impatiemment.
Des garçons
Alors que le monde de Marjane Satrapi est fait d’oppositions bien tranchées (entre les victimes et les bourreaux, la foi et l’athéisme, le communisme et la monarchie, la vengeance et le pardon), celui de Matthieu Blanchin, dans Le Val des ânes, est fait d’ombres et de nuances. Au pinceau délicat et à l’écriture de première de classe de Satrapi succède le trait brouillon de garçon turbulent de Blanchin; et là où l’Iranienne proposait un dessin tout en noir et blanc, sans tons de gris, le Français accumule ces derniers, peignant un univers de taches et d’ombres où chacun est coupable.
Parce qu’avec ses deux frères, Matthieu accumule les "bêtises" ou les "conneries" (selon que c’est la mère ou le père qui parle), brisant les carreaux du voisin, faisant évader ses vaches, déshabillant la petite voisine. Ici et là ressortent les cruautés, pour ne pas dire le sadisme, propres à l’enfance: faire exploser une poule après avoir introduit un pétard dans son orifice postérieur, mais aussi faire croire à son petit frère qu’il est un Arabe adopté à la naissance: "Depuis ce jour, Rémy a pris un air triste et sombre, et ne l’a jamais vraiment quitté. On était sûr de provoquer chez lui un doute réel sur son identité. On allait jusqu’à ce que son visage se ferme, témoin d’un égarement insondable. On était vraiment odieux…" Le Val des ânes, c’est aussi le récit troublant de la culpabilité de l’adulte réalisant le mal qu’il a fait.
Persepolis, L’Association, 2001, 76 p.
Le Val des ânes, Ego comme X, 2001, 78 p.