American Death Trip : L'Amérique inquiète
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American Death Trip : L’Amérique inquiète

James Ellroy est un surdoué du roman noir. Un géant à l’ambition et au talent démesurés. Un hyperproductif qui n’a jamais caché son rêve: devenir le plus grand écrivain de thrillers au monde.

James Ellroy est un surdoué du roman noir. Un géant à l’ambition et au talent démesurés. Un hyperproductif qui n’a jamais caché son rêve: devenir le plus grand écrivain de thrillers au monde. Depuis ses débuts, l’homme a pondu pas loin d’une vingtaine de romans, dont son fameux "quatuor sur L.A." (Le Dahlia noir, Le Grand Nulle part, L.A. Confidential et White Jazz), et Ma part d’ombre, ce roman autobiographique où l’homme affrontait les fantômes de son passé en enquêtant, aidé d’un détective à la

retraite, sur le meurtre de sa mère.

Peu avant Ma part d’ombre, Ellroy faisait paraître American Tabloïd, premier volet d’une trilogie avec laquelle il voulait, ainsi qu’il le confiait à notre journaliste Sylvain Houde, "recréer l’histoire américaine". Celle de la dernière moitié du siècle. De l’ascension de J.F.K. jusqu’à la débâcle du Viêt Nam. Un projet qui a donné lieu à des milliers de pages.

Plus de huit cents dans American Tabloïd. Autant dans American Death Trip, qui vient d’arriver, dans sa version très française, sur nos tablettes.

Lecteurs et lectrices fidèles d’Ellroy, armez-vous de courage, il vous en faudra pour venir à bout de ce pavé sanglant où les cadavres se ramassent à la pelle mécanique. Armez-vous de patience, vous en aurez besoin pour supporter la traduction qui multiplie les argotismes, et pour arriver à démêler l’inextricable sac de noeuds qu’Ellroy a mis en place. Munissez-vous d’un carnet de notes, indispensable pour vous y retrouver dans cette galerie surpeuplée de personnages tout aussi tordus les uns que les autres.

Et, pourquoi pas, d’une carte géographique, pour retracer leurs innombrables déplacements. Car Ellroy ratisse l’Amérique de Washington à La Nouvelle-Orléans, de Miami à Las Vegas, de Chicago à Dallas. Et vous offre, en prime, une visite du Viêt Nam des très bas-fonds.

Ainsi parés, vous pourrez vous plonger dans cette histoire qui commence là où American Tabloïd nous avait laissés, soit quelques instants après le meurtre de John F. Kennedy.

Dans American Death Trip, on retrouve la plupart des principaux protagonistes d’American Tabloïd, dont Pete Bondurant l’armoire à glace, l’homme à tout faire d’Howard Hugues, un tueur sans pitié sauf quand il s’agit des femmes; et Ward Littell le caméléon, agent du FBI, avocat de la mafia, admirateur secret des Kennedy. Kemper Boyd, qui jouait un rôle majeur dans le premier tome de la série, n’est plus de la partie.

Mais de nouveaux visages apparaissent, dont celui de Wayne Tedrow junior, un jeune flic de L.A. dont la moralité ne survivra pas à la pourriture ambiante. Car tout le monde est pourri, dans l’Amérique de James Ellroy. Même les héros. Même les stars. Même, et surtout, ceux qui sont au pouvoir. Il n’y a pas de solidarité, y compris au coeur des plus puissantes organisations. Tout le monde se trahit. Tout le monde a un double visage. Le patron de la CIA a des accointances avec la mafia. Le père Kennedy aussi. La police aussi. Le plus puissant des syndicats américains aussi.

Ce qu’ils ont tous en commun, c’est leur racisme invétéré et leur haine de Castro. Or, Robert Kennedy, qui brigue la présidence, poursuit sa guerre contre le crime organisé, admire Martin Luther King et clame ses messages de paix. Ni lui ni le pasteur King n’ont la moindre chance de s’en tirer.

En mêlant réalité et fiction avec ruse (bien malin celui qui pourrait faire l’exacte part des choses), et avec un sens aigu du montage, James Ellroy démonte la machine aux rouages extrêmement complexes qui parviendra à éliminer ces deux héros made in USA.

Entre les dialogues, les scènes d’action, les retranscriptions (réelles?) de conversations téléphoniques captées par les micros du FBI, l’histoire avance tambour battant. Le rythme est effréné. Le style, saccadé, martelé, matraqué ("Parler à Pete. Tuer Oswald. Imposer à l’opinion publique l’existence d’un seul tireur."). C’est agaçant. C’est énervant. Mais ça fonctionne.

Quand James Ellroy en aura fini avec cette trilogie (le prochain tome couvrira les années 68 à 73), on pourra dire qu’il aura accompli son projet le plus ambitieux.

American Death Trip
de James Ellroy
traduit de l’américain par Gratias
Rivages/Thriller, 2001, 863 pages