Zachary Richard : Terre d’exil
"La vie est un exil: chaque homme vit en lui-même comme en pays étranger", écrivait Jean Éthier-Blais, en 1982, dans Les Pays étrangers. Deux récentes lectures m’ont tout naturellement renvoyé à cette phrase.
"La vie est un exil: chaque homme vit en lui-même comme en pays étranger", écrivait Jean Éthier-Blais, en 1982, dans Les Pays étrangers. Deux récentes lectures m’ont tout naturellement renvoyé à cette phrase. Leurs auteurs, s’ils parlent tous deux d’une terre d’origine à jamais perdue, esquissent aussi, au fil des poèmes, ce pays porté en soi, pays inviolable mais jamais tout à fait apprivoisé.
On connaît le premier pour ses chansons bien davantage que pour sa poésie (mais un album tel Cap Enragé n’est-il pas empreint de poésie?). Au cours des dernières années, Zachary Richard a pourtant publié trois recueils, dont Feu, il y a quelques semaines. "Feu" pour évoquer les brûlures de l’âme, mais aussi les désirs du corps. Le recueil regorge en effet d’un érotisme suave, qui préside à une profonde communion des êtres.
Entre deux flambées amoureuses, où chair et esprit ne font plus qu’un, on trouve Zachary Richard tantôt sur le chemin de ses racines acadiennes, tantôt à l’écoute d’un mystérieux chant qui monte en lui. "Suroît, noroît, vent d’Est et vent qui vient d’en dedans / de cette partie affligée de poète / chantant la bouche fermée."
La série de haïkus parsemant le livre témoigne par ailleurs d’un souci de dire beaucoup en peu de mots, tout en laissant le lecteur suivre une piste à peine esquissée par le poète. Mais le plus réussi, dans la poésie du Cajun, c’est cette forme de superposition du monde extérieur, celui de la nature et sa faune, et de l’espace intérieur. Ainsi, les arbres, guêpes, oiseaux et criquets de la Louisiane vont incarner, dans l’univers poétique, des repères, des sentiments, des tourments.
D’un intérêt littéraire inégal, mais riche d’une sensibilité, d’un humanisme immenses, Feu est l’occasion d’une ouverture sur le sacré, voire le mystique, beaucoup moins apparente dans l’univers de l’auteur-compositeur-interprète.
Le lien avec le prochain poète va de soi. Lui aussi est auteur de chansons et amoureux de la nature, mais surtout, lui aussi livre l’écho, dans son recueil Outre-mer, des meurtrissures acadiennes. Sylvain Rivière, né à Carleton et installé aux Îles-de-la-Madeleine depuis 1982, dépeint la mer, ses personnages de pêcheurs et de marins, soucieux qu’il est d’établir un lien entre leur quotidien et celui de leurs ancêtres.
Dans des vers comptés, octosyllabiques le plus souvent, il raconte le parcours de ceux qui sont venus, de Belle-Île-en-Mer ou d’ailleurs, peupler les nouveaux pays. Ce texte, qui parfois prend une dimension épique, est étayé de mots obsolètes et savoureux, mots glanés au hasard des recherches de l’auteur, qui sillonne la francophonie sans relâche, aventurier sur la piste de l’histoire et des mots.
À travers ce chant un peu démodé – est-ce un réel défaut, en poésie? -, Sylvain Rivière, poète à la mémoire longue, nous invite à questionner la nôtre, à remonter aux sources de nous-mêmes. "Dans le long cours qui me navigue / Je garde mémoire de toi / Comme un repos à ma fatigue / Pays d’enfance et de patois."
Les puristes de cette forme exigeante et quasi abandonnée lui reprocheront sans doute de l’exploiter sans l’achever tout à fait (rimes parfois déficientes, versification hasardeuse); n’étant pas puriste de nature, je retiendrai surtout la cohérence de la démarche poétique et le souffle certain qui la traverse.
En terminant, poètes et lecteurs de poésie, voici une adresse à ajouter de toute urgence à vos signets: www.poesie-quebecoise.org En quelques semaines, ce site est devenu le portail incontournable de la poésie québécoise, de ses artisans et des activités qui lui sont consacrées.
Feu, de Zachary Richard
Éd. des Intouchables, 2001, 140 p.
Outre-mer, de Sylvain Rivière
Christian Pirot éditeur, 2000, 139 p.