Les Heures sauvages : Le fleuve et l’orphelin
La liberté n’est jamais acquise. Bruno Roy, romancier, poète et président de l’UNEQ (Union des écrivaines et des écrivains québécois), exprime, dans une oeuvre où l’expérience personnelle irrigue la fiction, la bouleversante fragilité de cette liberté.
La liberté n’est jamais acquise. Bruno Roy, romancier, poète et président de l’UNEQ (Union des écrivaines et des écrivains québécois), exprime, dans une oeuvre où l’expérience personnelle irrigue la fiction, la bouleversante fragilité de cette liberté. Les Heures sauvages, un roman qui fait suite aux Calepins de Julien (XYZ, 1998), relate l’enivrante mais douloureuse marche de Vincent, un orphelin de Duplessis, vers le monde libre.
1961. À seize ans, Vincent a passé plus de la moitié de sa vie dans les dédales correctionnels d’un Québec qui s’entête à écrire l’un des plus sombres chapitres de son histoire. Après avoir échoué dans différents centres d’accueil, on l’envoie au tristement célèbre hôpital Saint-Jean-de-Dieu, où lui et ses compagnons d’infortune, orphelins mais parfaitement sains d’esprit, sont internés dans l’aile psychiatrique pour les révoltantes motivations que l’on sait. Motivations récemment mises en lumière par la minisérie Les Orphelins de Duplessis, dont Bruno Roy est d’ailleurs coauteur.
À Saint-Jean-de-Dieu, on inculque une foi qui, chez Vincent, demeure bien vacillante. Comment croire en ces figures de l’Église qui observent sa souffrance d’un oeil impassible? Comment croire ces religieuses qui, à toutes les interrogations de Vincent, répondent que "Dieu a tout prévu"? Prévus les abus divers, sexuels entre autres, dont sont victimes ses camarades et lui?
Riche d’une indépendance d’esprit qui le sauve, l’orphelin développe la conviction qu’il n’est pas à sa place à l’asile, contrairement à tous ceux qui acceptent leur sort. "Vincent préfère se laisser prendre par ce bout du monde qu’il invente et qui, en ce moment, n’a qu’un nom: la fuite. Il se sent appelé pour une tâche précise: sa propre libération."
Le problème de Vincent sera moins de franchir les grillages que d’intégrer la vie urbaine de Montréal, dont il ne connaît ni les rues ni les usages. Si l’évasion réussit, les premiers jours de liberté sont éprouvants. Alors que sa déroute le mène près du fleuve, il fait la rencontre de l’"homme gris", un itinérant fort instruit qui lui fera découvrir la poésie de Rilke. Sur les berges du Saint-Laurent, une singulière complicité va s’établir entre cet homme qui a tourné le dos au monde et l’adolescent qui ne désire qu’une chose: y entrer.
Même quand il passe la nuit dehors, transi, Vincent refuse de se laisser abattre, d’incarner un "condamné". "Sous ses paupières sèches, et sa volonté et son oeil sont restés intacts. Bien que meurtri, Vincent se sait intouché au fond de lui. Le reste n’est qu’apparence."
Dans le récit de cette enfance blessée, le poète Bruno Roy n’est jamais loin. Il décrit moins l’action que l’émotion, voulant son texte au diapason du tumulte intérieur de Vincent. Ce très beau roman nous laisse d’ailleurs l’impression que Bruno Roy pourrait faire davantage confiance au lecteur. Son continuel souci de détailler, voire de circonscrire chaque sentiment est louable, mais on se sent un peu pris par la main sur ce parcours initiatique au demeurant passionnant.
Les Heures sauvages, de Bruno Roy
Éd. XYZ , 2001, 180 p.