Boulevard Raspail : Robert Baillie
Pour faire vite, quand on veut parler d’un roman du genre de celui que vient d’écrire Robert Baillie, on laisse parfois tomber cette formule, caricaturale, forcément. On appelle ça un "roman de prof", un "roman d’intello". Entendre: un roman qui fait la part belle au doute, au flottement, à l’incertain.
Pour faire vite, quand on veut parler d’un roman du genre de celui que vient d’écrire Robert Baillie, on laisse parfois tomber cette formule, caricaturale, forcément. On appelle ça un "roman de prof", un "roman d’intello". Entendre: un roman qui fait la part belle au doute, au flottement, à l’incertain.
Robert Baillie a la feuille de route qui convient: longtemps professeur, il écrit depuis 20 ans une oeuvre qui comprend romans, nouvelles, poèmes, essais et chroniques littéraires. Il nous a habitués à des histoires, bellement écrites au demeurant, dont La Nuit de la Saint-Basile, en 1990. Cette fois, si l’écriture y est toujours, économe et poétique, l’histoire est une offrande au lecteur qui voudra bien y mettre du sien.
Le premier jet de ce sixième roman, Boulevard Raspail, a été écrit lors d’un séjour de l’auteur dans un studio parisien mis à la disposition des écrivains boursiers du Conseil des arts et des lettres du Québec. Dans cette ville où tant de monde semble naturellement armé d’un vilebrequin à se fouiller la pensée, il n’est pas étonnant à vrai dire que l’auteur se soit plu à embrasser l’état ambiant. Tout commence dans la limpidité. Il y a un homme écrivain, qui s’appelle Benjamin Sulte (Insulte?), dans la cinquantaine, marié depuis 15 ans à Rafaela Rinaldi, également écrivaine, la quarantaine. Chaque année, ils quittent Montréal pour le New Jersey, où ils s’enferment dans un appartement qui donne sur la mer, le temps de peaufiner les romans qu’ils écrivent à deux. Lorsque s’ouvre Boulevard Raspail, Benjamin Sulte est justement là. Mais pas sa conjointe. A-t-elle tenté de se suicider en sautant du balcon? A-t-elle voulu se noyer dans l’Atlantique? Toujours est-il qu’elle n’est plus là. Elle habite désormais une clinique à Notre-Dame-du-Portage. Sans elle, Benjamin n’est plus tout à fait lui-même. D’ailleurs il y a un troisième personnage, l’écrivain sans doute, "Je" à l’identité volage qui se confond très souvent avec Benjamin Sulte.
On ne peut jurer que d’une chose: le lecteur vient d’atterrir dans l’univers de l’écriture.
"Quelqu’un rôde en moi. Quelqu’un d’immobile rôde dans ce lieu où je feins d’exister. Certains sont internés pour moins. Ce qui m’arrive doit arriver à d’autres individus aussi vivants, aussi sains que moi. Ils ne s’en vantent pas, voilà tout."
Pour aimer la suite, si l’écriture ne lui suffit pas (il y a aussi de belles scènes amoureuses), le lecteur devra bien se laisser prendre au jeu de l’incertitude. Boulevard Raspail (BR: l’envers des initiales de Robert Baillie) l’entraînera du New Jersey à Paris, à Québec, à Rome. Le lecteur aura à décider de lui-même ce qu’il veut que soit ce roman. Peut-être bien une métaphore du personnage en processus d’être créé? L’histoire d’un être tantôt bien campé, tantôt turbulent, qui suit la route tracée pour lui ou qui s’égare sans cesse, multipliant les identités ou bien refusant de rentrer chez lui, quêtant à tort et à travers ce qui lui manque pour exister pleinement. Ça vous branche? Les "romans de prof", on aime ou on n’aime pas. Dans le genre, en voilà un qui est plutôt bon.
Éd. XYZ, 2001, 171 p.