J’aurais voulu être beau et autres confessions : Double identité
Avec ce premier recueil de courts récits, joliment appelés "confessions", Martin Manseau prend sa place dans la littérature d’ici. Une petite place, certes, mais le jeune écrivain outaouais possède une voix qui s’impose déjà.
Avec ce premier livre, un recueil de courts récits joliment appelés "confessions", Martin Manseau prend sa place dans la littérature d’ici. Une petite place, certes, mais le jeune écrivain outaouais possède une voix qui s’impose déjà.
Parmi les thèmes traités dans ces 15 nouvelles, celui de l’amour est incontournable. Qu’il s’agisse d’Elisabeth, de Catherine, de Marie ou de Sandrine, les femmes sont au centre de la vie du narrateur, compagnes de cuites et d’extases mais, également, vecteurs de douloureuses afflictions, comme chacun sait. "Je ne veux pas que tu me racontes tes anciennes amours muées en amitiés si solides et importantes. (…) Je ne veux pas que tu me parles du plaisir sexuel que tu as eu ou pas (…). Je ne veux rien savoir de tout cela. Juste de l’imaginer, ça m’écorche beaucoup trop."
À travers les conversations silencieuses qu’entretient Manseau avec ses héroïnes, c’est l’amour qu’il cherche à comprendre; et de lui aussi qu’il tente de se consoler en couchant ses mots sur le papier. Dans ses 15 récits, Manseau se confie à ces pages, déversoirs de ses déboires amoureux, et témoins de sa métamorphose.
Car, dans ces très courts textes se profile l’image d’un écrivain que se fabrique, mot après mot: Martin Manseau. "Parfois, des éclairs d’inspiration s’abattent sur ma cervelle sans crier gare. (…) Je dois donc écrire, où que je me trouve, quoi que je fasse. Un mot germe en moi puis fleurit, en accroche un second sur sa route, puis un troisième au passage. (…) Je pourrais par la suite devenir un petit con d’écrivain hargneux et bourré de prétention, de quoi attirer vers moi la plus charmante des demoiselles et me faire des tonnes d’amis branchés tout aussi imbéciles et prétentieux que moi." Dans cette confession, J’attends le génie, Manseau avoue tout: il veut être écrivain pour la reconnaissance, pour séduire les femmes, pour "flasher". Mais, lucide, il n’a pas une très haute opinion de ce cliché, sans doute le plus commun à tous les jeunes écrivains; c’est cette ironie, présente dans presque toutes les nouvelles, qui sauve le récit du narcissisme, pourtant présent.
En effet, le narrateur se regarde souvent écrire, mais se projette aussi à plusieurs reprises dans des modèles; comme dans Un jour… "…j’inviterai Maxime-Olivier Moutier, Emmanuel Aquin, Stéphane Bourguignon et peut-être même Mistral à prendre quelques bières avec moi, pour leur dire à quel point j’admire leur écriture. (…) Je leur dirai que, chacun à leur façon, ils ont contribué à ce que je suis devenu." On ne peut être plus clair! Manseau a aussi ses Marie-Hélène, et, comme chez Moutier, la découverte de son identité masculine est intimement liée à celle qu’il se construit comme écrivain.
Déployant tout un arsenal de métaphores sexuelles et d’allusions à la virilité, le narrateur veut (se?) convaincre qu’il est bel et bien un homme, tout en désamorçant, toujours par l’ironie, son obsession. À l’arrivée, c’est toute la vision de l’homme qu’il interroge, comme dans Ma motocyclette jaune ou comment devenir un homme, un vrai. "Tout ça parce que je ne suis pas ton genre de mec as-tu dit. Parce que je ne suis pas un vrai, enfin, pas à tes yeux. Mais alors dis-moi, qui sont les vrais hommes pour toi? (…) Ceux truffés de cette lamentable envie de vomir des christ de tabarnac aux cinq mots pour se sentir virils?"
Le style de Manseau est imagé, coloré, provocateur, très imbibé de l’air du temps. Trop, parfois. Mais la singularité persiste: celle d’une écriture qui se cherche, sincère, à travers toutes les voix qui existent déjà. Celle aussi d’un homme, moderne, qui ne craint pas de perdre sa virilité parce qu’il ouvre son coeur.
J’aurais voulu être beau
et autres confessions
Éd. Triptyque, 2001, 139 p.