Livres

Le Mondial de la littérature : Mariage de passion

La 7e édition du festival de l’Union des écrivaines et écrivains québécois a contribué, une fois de plus, à estomper les frontières entre les pays et les générations, mais aussi entre les disciplines artistiques.

Est-ce l’euphorie printanière ou les joies de la rencontre littéraire qui ont enfiévré les artisans du verbe réunis lors du Mondial de la littérature, du 11 au 19 mai? Au moins un peu des deux, tant l’ambiance perçue en divers lieux du festival était chargée d’électricité.

Cette 7e édition de l’événement fondé en 1995 par l’UNEQ a tout du franc succès. Cent cinquante écrivains d’ici et d’ailleurs s’y étaient donné rendez-vous, emballés à l’idée de marier la littérature à la danse, à la musique, à la mise en scène ou aux arts visuels. "La particularité de ce festival? Son caractère expérimental, qui suscite la rencontre de différentes formes d’art en des lieux appropriés", souligne le poète José Acquelin, concepteur et animateur des populaires 5 à Souhaits, des apéros-lectures présentés chaque jour du festival au Cabaret des Terrasses Saint-Sulpice. "Une telle expérimentation est essentielle pour que surgisse autre chose de la littérature; pour que la littérature sorte des livres."

Cette année, José Acquelin a reçu 35 poètes, qu’accompagnaient le pianiste Pierre Saint-Jak et le contrebassiste Normand Guilbeault, des musiciens d’une exceptionnelle sensibilité. "La musique révèle certains aspects du texte, poursuit l’animateur. Elle encourage l’oralité." Il fallait entendre le poète italien Claudio Pozzani, lecteur hors pair, jouer avec les sons et les rythmes dans une envolée quasi incantatoire; ou encore Linda Bonin, dont la lecture à fleur de peau a bouleversé les spectateurs.

La poésie avait une place de choix dans la programmation. Le 12, une soirée-hommage en souvenir de Denis Vanier donnait à ses héritiers l’occasion de faire revivre le poète disparu il y apeu. Le 14, une grande soirée consacrée à la revue Exit était présentée au Lion d’or. Le lendemain, à la Bibliothèque nationale, Tania Langlais recevait le convoité prix Émile-Nelligan 2000. Par ailleurs, une soirée dédiée au spoken word mettait en lumière, le 18, cette fascinante manifestation de la culture canadienne-anglaise. Avec des maîtres du genre tels Ian Ferrier, Fortner Anderson ou Paul Dutton, le public a découvert de nouvelles façons de "jouer" le poème sur scène.

Pendant ce temps, à l’Agora de la danse, on présentait une rencontre singulière sous le thème Oser le corps. Les auteurs Gilles Pellerin, Rober Racine et Guy Ménard, invités à explorer l’écriture chorégraphique, y étaient jumelés, respectivement, aux danseurs Jacques Brochu, Manon Levac et Marc Boivin. Très expérimentale, cette activité a donné lieu à des temps forts, entre autres quand Manon Levac a tenu l’auditoire en haleine avec son personnage halluciné, quelque part entre force et fragilité.

Difficile de tout voir. Entre une rencontre-causerie et quelques tables rondes, le festivalier un peu étourdi que j’étais allait assister à une projection de la série Littérature et cinéma, qui comportait, entre autres, des films sur Anne Hébert (celui, très beau, de Jacques Godbout), Claude Gauvreau et Jack Kerouac.

Autre volet riche de cette 7e édition: la place accordée aux artistes autochtones. Bruno Roy, l’actuel président de l’UNEQ, soulignait récemment l’importance d’illustrer "la vivante culture des Premières Nations, rappelant ainsi que l’aventure du Québec y a son origine et son sens". En outre, le spectacle Dialogues avec un sauvage, avec le comédien Charles Bender, articulait autour d’un texte du baron de Lahontan (1703) une certaine réponse à l’attitude pour le moins paternaliste des Français à l’endroit des Amérindiens.

Bien sûr, pareil festival est avant tout une grande fête pour les écrivains eux-mêmes, qui savourent ces jours de rencontre et d’échange. Or, on avait la nette impression que le public n’était pas en reste. "Ça nous rapproche beaucoup des écrivains", me disait d’ailleurs une dame ravie avant de se rendre à l’apothéose que représentait L’Archipel des mots, un spectacle présenté le 17, au Cabaret Music-Hall, et animé par la poète Hélène Dorion et le pianiste Jean Marchand. L’activité, un étonnant concert littéraire à plusieurs voix, réunissait une pléiade d’auteurs de renom, dont Marie-Claire Blais et Michèle Gazier.

Le tour d’horizon n’a rien d’exhaustif, loin s’en faut; il reflète plutôt la richesse d’un festival dont le caractère expérimental, grâce à l’efficacité de son organisation, ne tombe jamais dans le "broche à foin".